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LE CARACTÈRE ET L’ŒUVRE POLITIQUE
D’ÉDOUARD VII

Si l’on avait dit, il y a vingt-cinq ans, aux spectateurs de la politique européenne que l’Angleterre, vers le début du XXe siècle, posséderait un grand roi, ils se seraient crus autorisés à dédaigner cette prédiction. « Un grand règne, soit ! » auraient-ils répondu, « mais non un grand roi. Le dernier souverain anglais auquel on puisse appliquer l’épithète, Guillaume III, est mort il y a plus de deux siècles et j’oserai dire qu’il est mort à la peine, mort en léguant à son pays une guerre dont la nation ne se souciait pas, mort d’un incroyable effort pour faire prévaloir sa volonté sans contraindre celle de ses sujets. Le pouvoir personnel n’existe plus chez nos voisins : Pitt lui a porté le coup suprême en 1788, au moment de la folie de George III. Les mœurs politiques de l’Angleterre contemporaine imposent à un souverain anglais de nombreux devoirs, lui accordent, par compensation, de brillans privilèges, mais lui refusent absolument les moyens d’être « un grand roi. » Un seul trait suffit : l’homme qui vient, chaque année, en public et du haut d’un trône, débitez comme sienne une page écrite par ses ministres, et qui peut donner un décisif et outrageux démenti à celle de l’année précédente, cet homme-là peut-il espérer de passer dans l’histoire comme un grand roi ? Et le doute, sinon l’incrédulité, eût été encore plus marqué, s’il avait fallu identifier la promesse de cette