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Les Pères ont raison ! L’aventure me séduit : je la tenterai peut-être un jour. En attendant, je commencerai modestement par aller voir En-Gaddi.


L’accès n’en est pas très facile. De Jérusalem, deux chemins sont possibles : l’un par Jéricho et la rive occidentale du lac. C’est le plus long et le plus fatigant. Les pistes sont atroces, et l’eau manque, paraît-i ! , d’un bout à l’autre du parcours. Le second, par Bethléem et le Désert de Juda. Les chemins ne sont pas beaucoup meilleurs, mais on y trouve au moins un point d’eau potable, — et puis enfin, c’est le plus court. On peut effectuer le trajet en douze ou quatorze heures, sans se presser. Pour éviter une trop grande fatigue, nous le couperons en deux et nous nous arrêterons, le soir, à Bir-Allah, un lieu vague où il y a un puits.

Bir-Allah !… cela signifie le Puits de Dieu. Rien que ces mots arabes nie rappellent soudain quelle chose précieuse est un trou d’eau dans ces mornes étendues de sable, — une chose si rare et si bonne que, pour les Bédouins, c’est un présent du ciel ! Et, avec une sorte de malaise nostalgique, je me remémore l’âpre volupté de mes premiers voyages dans le Sud algérien, lorsque, après une journée de marche harassante sous le soleil de feu, nous aspirions, de toute la fièvre de nos veines, à la rencontre du puits perdu, où se recueille un peu d’eau saumâtre ! Nous y arrivions très tard, dans la nuit, et nous ne trouvions, sous quelques touffes de lauriers-roses desséchés, qu’une flaque boueuse piétinée par les troupeaux. Alors il fallait boire, à même les outres de peau de bouc, le gros vin noir du Tell, dont l’alcool chauffé, tout le jour, aux flancs des chariots, nous brûlait la gorge.

Le voyage d’En-Gaddi sera certainement moins dur. Cependant il est bien plus pénible et compliqué que l’excursion à Jéricho, qui est une partie de plaisir des plus simples : on s’y rend en voiture par une fort bonne route, presque aussi bien entretenue que nos routes françaises. Pour En-Gaddi, une véritable mobilisation s’impose. Un appareil de campement, des chevaux, des mulets, une escorte deviennent nécessaires. Cela fait toujours un certain embarras, qui flatte la vanité de l’Européen. On est ravi de rompre, pour une fois avec le confort de la vie