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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/599

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ossemens blanchis se fendillent et s’émiettent sur le sol. Avec la même rapidité que l’ardeur tropicale hâte l’éclosion de toutes ces plantes, elle les tue et les décompose. On ne peut faire un pas sans écraser des amas de branchages, qui craquent comme du verre sous les pieds. Et, partout aussi, les pousses nouvelles vous barrent le chemin, s’allongent en lianes rampantes, ou se pelotonnent en grosses boules crépues comme une chevelure de nègre. Tout cela est âpre et sans couleur, poudreux, rugueux, dévoré par le hâle. Les plantes vivantes se distinguent à peine des plantes mortes, et comme celles-ci ont pris les tons blanchâtres des roches, que le feuillage des autres est d’un vert carbonisé, la plaine d’En-Gaddi, considérée de la falaise, paraît un désert où aurait passé un grand incendie.

Cependant les arbustes sauvages y foisonnent. Je reconnais, çà et là, des jujubiers et des tamaris. Ce sont les espèces les plus nombreuses. Mais il s’y trouve encore des arbrisseaux à fruits jaunes qui ressemblent à des nèfles du Japon. Ces petits arbres malingres reculent devant l’armée formidable des roseaux. Partout où suinte un peu d’humidité, le roseau s’étale et s’établit. Il étouffe ses voisins sous l’enchevêtrement de ses feuilles coupantes et de ses hautes lances à panaches. L’eau abonde dans cette campagne aride, déchaînant d’un bout à l’autre une extravagante et inutile fécondité. Ainsi arrosée, chauffée, comme une serre, par un soleil presque toujours torride, l’antique oasis d’En-Gaddi dut justifier pleinement sa réputation. Il paraît que, sur la rive orientale du lac, les palmiers croissent d’eux-mêmes. Ici, lorsque la plaine était cultivée, la palmeraie devait être aussi merveilleuse que nous le racontent les historiens anciens. Sous son ombre devaient prospérer non seulement les vignes chantées par le Cantique des Cantiques mais tous les arbres fruitiers de l’Orient… Qui sait ? Peut-être que cette prospérité n’est pas perdue à tout jamais ! ’ Il suffirait de si peu de chose pour qu’elle renaisse ! Comme à Gennésar, que des colons s’installent à En-Gaddi, et l’histoire recommence !


Malheureusement, la fertilité de ce petit coin de terre expire presque immédiatement, à la limite de la Mer Morte. Tout ce que le flot corrosif a touché est aussitôt flétri.