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les royalistes ; il pouvait déporter 15 ou 1 800 prêtres insoumis, parce que ces prêtres étaient suspects de royalisme ; il n’osait pas supprimer les écoles libres et violer l’article 300 de la Constitution, parce qu’il redoutait un soulèvement universel qui l’aurait renversé.

Cet état de choses dura jusqu’à la fin du régime directorial. Sans entrer dans le détail, comme l’a fait si heureusement M. Albert Babeau, il suffit de citer deux fragmens de lettres adressées à Grégoire, après le Concile, par deux curés instituteurs. L’un d’eux lui écrivait du département de Seine-et-Oise : « Je suis curé, vicaire, bedeau, scribe de la commune, maître et maîtresse d’école. J’ai chaque jour de la semaine, sans aucun congé, 50 à 60 enfans à instruire le matin et le soir… » Quatre mois plus tard, un curé des environs de Chartres écrivait à son tour : « Le plus grand nombre des curés de campagne sont instituteurs de la jeunesse, et n’ont point d’autres ressources pour vivre. Le commissaire du canton veut qu’ils optent, disant qu’ils ne peuvent être tout ensemble instituteurs et ministres de la religion catholique. Ce commissaire est-il fondé à leur proposer l’option et à les y forcer ? » La réponse à cette question fut précise : les curés pouvaient être instituteurs comme ils pouvaient être officiers municipaux et maires de leur commune, et on les exhortait même à se faire instituteurs pour ne pas mourir de faim. Le gouvernement d’ailleurs était récompensé de sa tolérance, car la République subsistait grâce au clergé patriote. Le peuple lui confiait volontiers ses enfans ; mais dès les premiers jours du Consulat, et surtout lorsque les émigrés purent rentrer, les choses changèrent de face. L’ancien clergé put lutter avec avantage contre les ci-devant constitutionnels ; les prêtres républicains perdirent chaque jour du terrain ; la situation devenait de plus en plus complexe et ne pouvait être dénouée que par un acte d’autorité, un acte double qui devait réunir le Pape et le Premier Consul, l’empereur de demain. La France était mûre pour le Concordat.


A. GAZIER.