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derniers exégètes, l’angoisse de Salomé se penchant sur la fosse et les battemens inégaux de son horrible cœur. État d’âme et non description, détail non pas matériel, mais psychique. Aucune importance d’ailleurs.

Quelque chose importe davantage : la substance, l’être même de la musique, et voilà ce qui manque ici. En cette œuvre surchargée et vide, je ne vois d’égale à la richesse des formes sonores que la pauvreté du fond. Malgré les plaisanteries d’Henri Heine, nous avons l’idée d’une idée, même en musique. Or, dans Salomé, la plupart des idées sont à peine ; elles sont indigentes, mesquines, à moins qu’elles ne soient vulgaires. Le personnage de Iochanaan est peut-être, à cet égard, le moins mal partagé. L’un de ses « motifs, » — pour continuer d’user du langage que le wagnérisme naguère imposa, — n’est pas sans beauté. Formé premièrement d’une succession ou d’une progression de quartes (la dernière augmentée et dure), il s’élève, noble d’abord et, vers la fin, douloureux à la manière gémissante et chromatique de la plainte d’Amfortas, au premier acte de Parsifal. Mais à côté de cela, d’autres thèmes, redondans et sonnant le creux, font du Baptiste, maussade et grognon sans colère sacrée, emphatique sans véritable éloquence, un fastidieux prêcheur. Le type de Salomé, son type musical, est très médiocre. Les élémens qui le constituent sont au-dessous de l’ordinaire. L’un d’entre eux, le moindre, ne consiste que dans une espèce de petite secousse sonore. Ce n’est rien, ces trois notes rapides, et pourtant, c’est quelque chose de grêle et de pointu, quelque chose de mièvre et de puéril, dont le perpétuel retour agace et finit par exaspérer. Une autre figure mélodique du même personnage irrite autrement : par je ne sais quoi, non plus de sec et de restreint, mais de veule et de lâche, par le dégingandage et comme le dévergondage d’un thème convulsif, où certain mauvais goût d’Italie s’aggrave d’un arrière-goût, pire encore, allemand. Et nous ne parlerons point de la circulation, à travers tout le rôle, d’un motif de valse, de valse viennoise, où la platitude mélodique ne se rehausse pas, mais se hérisse des plus cruelles harmonies.

« Matière infertile et petite, » les idées musicales ne sont ici nulle part agrandies et fécondées. Entendons-nous bien. Sans doute elles font l’objet d’un travail ou d’un jeu très compliqué, fort difficile, où l’on sait que M. Richard Strauss est passé maître. Il consiste, ce laborieux exercice, à placer, déplacer et replacer, en les tournant, retournant et contournant, dans le plus petit espace et dans le plus grand nombre de situations possible, un certain assortiment de « pièces » sonores, lesquelles peuvent d’ailleurs, nous l’avons constaté, ne pas