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l’épouse pendant les dix années que dura l’absence de l’époux. Pénélope a fini par consentir à s’en séparer, non sans quelque résistance, bien légitime, et que traduisent des couplets, charmans de pudeur offensée.

Ulysse avait deviné juste. Hélène s’honore de ce témoignage de la considération d’une femme irréprochable entre toutes ; bien plus, elle ne serait pas très éloignée de s’en émouvoir. Elle le reçoit avec déférence, elle le porte avec respect. Il semble que le frêle tissu répande autour d’elle, insinue en elle un peu de sa chaste influence. Sous sa parure, elle n’oserait faillir. Palladium léger, il la défend de Télémaque, ou plutôt il défend, il sauve Télémaque d’elle. Ainsi, le souvenir de la mère garde l’innocence de l’enfant. Ainsi, dans cette grecque et païenne aventure, quelque chose de moral et de vertueux, sans être ridicule, est entré. D’autres intrigues, plus fortes, ont un ressort plus puissant ; il ne faut à celle-ci qu’un réseau léger, pour l’envelopper de pure poésie.

Et la musique ne l’a point rompu. Elle s’est gardée, elle aussi, de la charge, sauf en deux ou trois passages, qui l’imposaient. C’est le chœur, déjà cité, du fou rire. C’est, plus encore, le chant national des Phéaciens, plaisamment, surtout furieusement imité de la Marseillaise, et plaisant, paroles et musique, par cette fureur même. Ulysse et Ménélas échangent à ce sujet des remarques pleines d’un sens patriotique autant qu’international. Il s’élève, il s’élance, le chant parodié, comme le chant authentique, sur le même rythme, d’un mouvement pareil. Et si, par surcroît, l’on songe que ce mouvement, ce rythme, — les hellénistes du moins l’assurent, — fut celui d’un chant guerrier de la Grèce, et de Tyrtée encore ! oh ! alors il semble bien que de le voir, de l’entendre entonner par des Grecs, et par des Grecs pour rire, ajoute, comme un dernier trait, la plaisanterie archéologique à tous les autres élémens de la caricature.

La partition, hors ces quelques rencontres, observe le style tempéré. Le premier air de Télémaque : « Je sais bien quelle ardeur me pénètre, » forme un pastiche musicalement spirituel, je veux dire qu’il l’est par la musique même, du « Non so più » de Mozart. Le voile enfin, le voile a porté bonheur à la musique aussi. Le « motif » du voile, (car il existe,) est gracieux. Par les deux premières notes, par l’arsis, (nous appelons ainsi, nous autres pédans, le « départ en levant, » le mouvement d’abord ascensionnel d’une mélodie), il rappelle un motif, lyrique avec élégance, des Maîtres Chanteurs. Il y a toujours de l’esprit ou de la sensibilité dans les épisodes où l’on parle du voile,