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Et cet effroi, quasi physique, n’est pas seulement la suite de la surprise et du choc ; il dure bien au-delà du jour où la Pucelle a emporté la victoire par un coup soudain. Elle est déjà navrée, palpitante, désespérée, traînant, sur les routes de l’Île-de-France, la dernière étape qui la conduit à Compiègne, et les insulaires n’osent pas encore renoncer, pour venir l’affronter, à la protection de la ceinture d’argent. Henri VI s’embarque pour la France ; il entreprend une campagne qui doit être décisive ; il annonce qu’il veut, lui aussi, se faire sacrer à Reims. Mais l’armée anglaise, réunie à grand’peine, se disperse dès qu’il est question de traverser la Manche. Le gouvernement est obligé de publier un mandement royal, « contre les capitaines et soldats se dérobant au service, terrifiés par les incantations de la Pucelle. » (3 mai 1430 ; Procès, V, 162-164.) Et, six mois après quand la Pucelle est prisonnière, les fers aux pieds, rivée dans la cage de fer où les Anglais sont sûrs de la tenir et de la garder jusqu’à la mort, ils tremblent encore ; le 12 décembre 1430, on lance un autre « mandement » avec ordre adressé à tous les fonctionnaires de la côte anglaise d’avoir à arrêter les fuyards de l’armée que les maléfices terrifians de la Pucelle ont mis hors de sens. » (12 décembre 1430, t. V, p. 192.)

Par ce coup de balancier extraordinaire, qui élève les uns jusqu’aux nues et enfonce les autres aux abîmes, — si grande que soit la part faite à l’imagination et à la superstition, — des faits positifs, tangibles, n’en sont pas moins accomplis ou en voie d’accomplissement : la délivrance d’Orléans, la victoire de Patay, Je couronnement à Reims. De la Loire à la Seine, par Troyes, Reims, Laon, Crépy-en-Valois, Compiègne, Beauvais, Saint-Denis, toutes les approches de Paris sont reconquises ; au plein cœur de la Normandie, Evreux entre à composition (12 août probablement)[1].

Charles VII était sur le point de se réfugier dans le Dauphiné et, peut-être, de quitter la France ; maintenant il est Roi ; — roi couronné dans les formes solennelles, oint de la Sainte-Ampoule, guérissant les écrouelles à Saint-Marcoul de Corbeny. Il

  1. Sur l’importance de cette composition, sur les conséquences qu’elle devait avoir au point de vue de la conquête anglaise, voyez Germain Lefèvre-Pontalis, la Panique anglaise (p. 10).