Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lendemain de Patay, il tint le Roi enfermé dans son château de Sully-sur-Loire au lieu de le montrer au peuple d’Orléans qui l’attendait dans la joie de la délivrance, dans l’exaltation du triomphe. Quelques jours après, à Saint-Benoît-sur-Loire, le Roi s’approche de la Pucelle ; elle pleurait : « Il eut pitié d’elle, dit un témoin du procès de réhabilitation, et de la peine qu’elle éprouvait ; il lui dit de s’apaiser. Mais Jeanne, tout en larmes, suppliait le Roi de ne pas douter et qu’il regagnerait son royaume tout entier. » (Procès, III, 116.)

De Saint-Benoît-sur-Loire, on alla à Gien, 24 juin, et c’est là qu’eut lieu un événement qui décida peut-être du sort de la Pucelle.

Le connétable de Richemont, qui n’avait pas perdu tout espoir de reprendre de l’influence sur le Roi, s’était porté sur la Loire aussitôt après la délivrance d’Orléans. Malgré les ordres réitérés de la Cour[1], il s’était avancé sur Blois et sur Beaugency, à la veille de la bataille de Patay. On avait envoyé le Duc d’Alençon et la Pucelle pour s’opposer à sa marche, et peu s’en fallut que les deux armées n’en vinssent aux mains à la vue des Anglais. La présence d’esprit des chefs, la bonne volonté de Richemont et la sagesse de la Pucelle épargnèrent à la cause un tel désastre.

On fit une composition de laquelle il résultait que la Pucelle intercéderait auprès de Charles VII pour obtenir le pardon du connétable. Il fut décidé que celui-ci prendrait sa place dans l’armée royale, et ce fut lui qui, avec la Pucelle, donna le signal du combat, à Patay. Jeanne lui disait, dans ces paroles familières et vives qui caractérisent toujours la promptitude et la netteté de ses impressions : « Ah ! beau connétable, vous n’êtes pas venu de par moi ; mais, puisque vous êtes venu, vous serez bienvenu. »

Après la victoire, Jeanne tint sa promesse : toute rayonnante de ce nouveau succès, elle n’avait aucune raison de ménager La Trémoïlle. Elle plaida la cause du connétable auprès du Roi ;

  1. Les craintes de La Trémoïlle au sujet du connétable sont affirmées par tous les témoignages contemporains. Il suffira de citer le passage si explicite de Cousinot : « En ce temps, le seigneur de La Trémoïlle étoit en grand crédit auprès du Roi ; mais il se doubtoit toujours d’être mis hors du gouvernement et craignoit spécialement le connestable et autres ses alliés et serviteurs… Ledit La Trémoïlle ne le vouloit souffrir et si n’y avoit personne qui en eust osé parler contre iceluy La Trémoïlle… » Jeanne d’Arc, seule, osa. » Chronique de la Pucelle (p. 313).