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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/851

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Versailles. Un soir, la soupe aux choux, que mangeaient les acteurs en scène dans les Moissonneurs, embaumait si agréablement la baignoire d’avant-scène, que la Reine fit demander une assiette de ce potage. Montansier, en bon diplomate, comprit quel parti on pouvait tirer de ce caprice, et ce fut bientôt une tradition consacrée, à chaque représentation de la pièce, de réserver la part de la Reine. Montansier obtint d’elle son entrée familière à ses petits levers ; elle eut ensuite la direction des théâtres de Saint-Cloud, Marly, Fontainebleau, Compiègne, tint école de bonne comédie, eut pour ainsi dire l’entreprise générale des plaisirs de la Cour, avec le titre de directrice des spectacles à la suite de la Cour. Mais la Révolution arrêta cette fortune. Montansier abandonna Versailles, suivit la Cour à Paris, nagea entre deux eaux, courut plus d’un danger, et réussit en somme à sauver sa vie, grâce à Barras, qui l’appelait toujours son amante adorée.

Elle avait loué le théâtre Beaujolais, bientôt appelé le théâtre Montansier : on y jouait l’opéra-comique, le vaudeville, la tragédie ; on abordait le ballet ; ses acteurs y commettaient parfois des imprudences, et Barras eut quelque peine à tirer d’affaire Micaelef, qui s’avisa d’accentuer ces mots : « Oh ! c’est un coq imparfait (c’est un coquin parfait) » dans une bouffonnerie de Désaugiers : Le Fat éconduit, où Caumont, jouant le Fat, avait copié le costume préféré de Robespierre. Aussitôt arrivée à Paris, Montansier eut un salon où fréquentaient Fabre d’Eglantine, Beaumarchais, Barras, Tallien, Chénier, Rochefette-Dufresne, du Boullay, Talma, Vergniaud, force Girondins ; côté femmes : les deux Sainval, Contat, Dugazon, Julienne, Vanhove, Mars, alors âgée de treize ans à peine. La maîtresse de maison mettait la prudence à l’ordre du jour, et n’était pas toujours obéie. Quand Camille Desmoulins se présentait, elle déclarait : « Voilà Camille ; le premier qui lui donnera une réplique politique, sera à l’amende d’une discrétion pour les dames. » Les dames goûtaient fort la discrétion, qui ne tardait pas à apparaître sous la forme de glaces. C’est dans ce salon que Bonaparte se lia avec Talma ; y être admis valait un brevet d’esprit ou de talent. Montansier disait : « Je reçois Seveste, quoique danseur ; il a beaucoup d’esprit. — Et Mlle Rose, la danseuse, pourquoi la recevez-vous, demanda malicieusement Julienne ? — Ah ! ma chère amie, elle est si jolie ! C’est une fleur de