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connu les écrivains, grands ou moyens, et sa vie, sa parole, sont en quelque sorte parfumées par les camaraderies et les amitiés littéraires. Kean, Robert-Macaire, Richard Darlington, Ruy Blas, le Chiffonnier de Paris, Paillasse, Vautrin, Jacques Ferrand, le Père Gachette, le Vieux Caporal, Tragaldabas, etc., que d’enthousiasmes évoquent ces héros du drame moderne, quels succès, plus ou moins en marge de la morale, parfois du bon sens et de l’équité !

Ses procès, ses brouilles, ses réconciliations avec Harel et autres directeurs, fourniraient à eux seuls la matière d’un nouveau Roman Comique. Il était fort susceptible, prêt à rompre en visière aux princes et aux auteurs, si on ne lui rendait pas assez, ou si on lui rendait trop justice. Ainsi, Jouy, l’auteur de Sylla, qu’on reprenait à l’Odéon, le complimente pendant une répétition : « Vous êtes dans ce rôle plus beau que Talma. » Frederick appelle Harel : « Mon ami, M. de Jouy vient de prononcer une parole qui m’a profondément blessé. Levez la répétition, je ne joue plus Sylla ! » Il donne le Chiffonnier à Londres, et son succès est si grand, que la reine Victoria lui adresse des complimens chaleureux ; mais elle termine par ces mots : « Mon Dieu, dans votre Paris que de misérables ! — Majesté, répond l’acteur, ce sont nos Irlandais ! »

Le marquis de Custine qui montrait de l’esprit dans ses livres, et n’avait aucun talent dans ses pièces, s’avisa de faire jouer une Béatrix Cenci qui avait langui trop longtemps, à son gré, dans les cartons de la Comédie-Française. Cependant il avait bien fait les choses, payé de somptueux décors de Cicéri ; en fin de compte, la mise en scène terminée, les rôles appris, le ministère défendit la pièce. Custine la porta à la Porte-Saint-Martin, où le directeur Harel, toujours aux expédiens, la reçut avec transport ; Béatrix entra aussitôt en répétition, Dorval acceptait le principal rôle. Le marquis, joyeux d’un si aimable accueil, va remercier Harel qui lui joue une scène digne des Fourberies de Scapin. Elle a été contée de main de maître par Armand de Pontmartin. Harel parle d’abord des dettes criardes de Dorval, huit ou dix mille francs, une bagatelle ; Custine souscrit. Puis trois décors flambant neufs, Philastre et Cambon, les maîtres du genre ; ci, une douzaine de mille francs ; haut-le-corps de l’écrivain amateur ; mais il s’incline encore, lion, mais il faut aussi de beaux costumes, beaucoup de soie et de velours : environ quinze mille