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En un mot, c’est le démembrement et le dépècement du royaume qui se trame à la faveur des trêves du 28 août. On voit que Jeanne d’Arc avait une claire vision des choses quand elle se refusait à une telle négociation. Philippe le Bon était le plus cher parent et le plus dangereux ennemi de Charles VII.

Il suffit de dire que ce programme fut adopté de point en point et qu’il dirigea l’action des deux puissances unies, dans la période qui s’écoule depuis la signature de la trêve jusqu’à la capture de Jeanne d’Arc.


En vérité, le grand-duc d’Occident pouvait se déclarer satisfait. Depuis le début de la guerre de Cent ans, les peuples et les rois n’avaient travaillé que pour lui. Tant de sang avait été versé, tant de misères multipliées pour qu’il triomphât. Les affaires du monde venaient se jeter en son succès comme les fleuves en la mer. Au moment où il épousait Isabeau de Portugal, venue de si loin, à travers tant de périls, pour le rejoindre à Bruges, il pouvait célébrer, par des fêtes inouïes, ces étonnantes faveurs de la fortune ; il pouvait remercier Dieu et consacrer sa liesse en fondant cet ordre de la Toison d’Or, destiné à exalter les vertus chevaleresques et les nobles désintéressemens : « A tous présens et à venir savoir faisons, qu’à cause du grand et parfait amour que nous avons pour le noble état de chevalerie, dont, par notre ardente et singulière affection, nous désirons accroître l’honneur afin que, par son moyen, la vraie foi catholique, l’état de notre Sainte Mère l’Église… soient, autant qu’ils peuvent l’être, défendus, gardés et conservés, nous, pour la gloire et la louange du créateur, pour la vénération de la glorieuse Vierge, sa mère, pour l’honneur de Mgr saint André, pour l’exaltation de la foi et de la Sainte Église, pour l’excitation aux vertus et aux bonnes mœurs, le 10 janvier 1429 (1430), qui était le jour de la solennité du mariage célébré entre nous, et notre bien-aimée épouse Elisabeth, nous avons institué, créé et ordonné un ordre et confrérie de chevalerie et d’association amicale d’un certain nombre de chevaliers que nous avons voulu appeler du nom de Toison d’Or, conquise par Jason[1]. »

Les pompeuses déclarations religieuses et morales cachaient mal le paganisme de ces fêtes. Jason et la Dame d’Or étaient plus opportuns que Gédéon et la Sainte Eglise.

  1. Baron Kerwyn de Lettenhove, La Toison d’Or, Bruxelles, 1907 (p. 11).