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logique vivante dans leur incompréhensibilité ; mais la « condamnation » apparaît isolée, sourcilleuse, sublime, parce qu’au sommet, il y a la mort. Tant de science et tant de titres coalisés pour cela ; tant d’esprits magnifiques contre une seule âme et si simple ; la justice contre Dieu, la loi contre la foi, trois cents hommes prêtres contre une seule femme sainte !

Il faut dire les choses comme elles sont, sans parti pris, en toute loyauté.

Ceux qui argumentent sur le procès ont recouru à divers procédés pour pallier une faute où tant et de telles responsabilités sont engagées.

Le plus simple et le plus commode a été de tout rejeter sur Cauchon. L’évêque, bouc émissaire. Les héritiers de Cauchon l’ont abandonné, lui et sa mémoire, devant le tribunal de réhabilitation ; tout le monde a fait comme eux. Cauchon, traître, vendu, perfide, excommunié[1], âme basse et diabolique, tire à lui le mal, dégrevant les autres de tout ce dont il se charge. Ainsi, le crime commun se noie dans l’erreur individuelle ; la petite lumière tremblante qui éclairait chacun des juges se perd dans l’auréole sacrilège du grand Responsable.

Et pourtant, cet évêque n’était pas seul dans les chambres du château où on harcelait la pauvre fille ; il n’était pas seul sur l’échafaud d’où on surveillait le bûcher ; d’autres prêtres siégeaient auprès de lui, travaillaient avec lui, montraient la victime du doigt. De près et de loin, des diocèses environnans, de Paris, les concours s’offraient ; des approbations, des acclamations s’élevaient, non forcées, certes, mais chaleureuses, cordiales, volontaires. Cauchon, primus inter pares, ne se distingue de cette foule que parce qu’il est le chef. On le reconnaissait homme de forte activité et de grand entendement ; six mois après la mort de Jeanne, le pape Eugène IV, le transférant au siège épiscopal de Lisieux (29 janvier 1432), loue « la bonne odeur de sa renommée » et l’encourage « à la répandre encore plus loin par ses actes si louables : » Vade ac bonæ famæ tuæ odor ex landabilibus actibus tuis latius diffundatur,[2]. Politique

  1. L’évêque Cauchon fut excommunié ultérieurement, au Concile de Bâle, pour avoir été de ceux qui refusaient de payer les annates ; cela n’a aucun rapport avec le procès de Jeanne d’Arc. Cauchon ne tint aucun compte de l’excommunication.
  2. Registres d’Eugène IV, n° 306, fol. 120 et suiv. ; cité par Père Denifle et E. Châtelain, Mémoires Société d’Histoire de Paris, tome XXIV (1897), p. 14.