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la dynastie des Valois et à l’indépendance française, l’affaire est perdue ; la combinaison échoue.

La ruse et le courage sont aux prises. « Jamais, dit Thomas de Quincey, depuis la création de la terre, il n’y eut un procès comme celui-ci, si on l’exposait dans toute la beauté de la défense et dans toute la diabolique horreur de l’attaque. »

Du fond de sa prison, Jeanne a deviné le plan de ses adversaires ; elle le connaît, elle le voit. Son plan à elle est arrêté par contre.

Elle combattra pied à pied, avec ténacité, avec bonne humeur, avec confiance. Belle et dernière bataille ; défense énergique et superbe, responsio superba, selon le cri que l’émotion et la surprise arrachent à l’annotateur du grimoire.

Tout se passa comme elle l’avait prévu, le caractère des interrogatoires et des réponses va l’établir. Suprême passe d’armes, d’où la noble fille sortit victorieuse.

Certainement, l’espoir qu’elle eut d’une délivrance la soutint longtemps. En fait, ses amis, La Hire, Dunois, Xaintrailles ne l’oublièrent pas. La Hire tenait garnison à Louviers, ville située à sept lieues de Rouen, et de là, il gêna beaucoup les Anglais ; mais, avec sa faible troupe de 500 hommes, il n’était pas en force pour un coup de main[1]. Dunois se rendit secrètement « ès pays de par-delà la rivière Seine, » il arriva jusqu’au pont de Meulan. Mais on ne sait ce qu’il fit au-delà et s’il fit quelque chose. Xaintrailles préparait, à Beauvais, cette campagne où il se faisait accompagner par le petit berger du Gévaudan, dont on ne sait qu’une chose, une tentative sur la ville d’Eu, en juin 1431[2], et qui échoua, aux environs de Gournay, dans les premiers jours d’août. (Procès, V, 169 et suiv.) Jeanne suivait ces efforts, malheureusement bien isolés et dispersés, du fond de la tour du château de Bouvreuil, comme elle avait suivi et vu, du fond de la tour du château de Beaurevoir, les alternatives du siège de Compiègne.

Quant au Roi, dont la pensée ne la quittait pas, il était retourné vers ces châteaux de la Loire où elle avait tant souffert[3]

  1. Voyez, sur l’émotion que la présence de La Hire à Louviers causait aux Anglais pendant tout le procès de Jeanne d’Arc, Beaurepaire, Recherches sur le Procès (p. 28).
  2. Sur la prise d’Eu, voyez Germain Lefèvre-Pontalis dans Biblioth. École des Chartes, 1894 (p. 262, n.).
  3. En avril 1430, à la veille de la prise de Jeanne d’Arc, Charles VII est à Jargeau. Le 5 juin, secoué par les événemens de Compiègne, il annonce aux habitans de Reims qu’ils auront bientôt de ses nouvelles qui les réconforteront. Il montre, alors, une réelle activité. Le 18 juillet, il renouvelle ses promesses et s’avance jusqu’à Gien. Mais il passe août et septembre, sans bouger, à Sens. C’est le moment où Jeanne est enfermée à Beaurevoir, Finalement, Charles VII laisse ses lieutenans se débrouiller et il s’en retourne vers la Loire. Il est à Montargis en novembre. Il revient à Gien, à Jargeau. Il y eût, alors, une délibération pour savoir quel parti prendrait le Roi : il est question, le 18 novembre, d’un voyage de celui-ci outre Seine. Mais il y renonce définitivement. C’est le moment précis où Jeanne est livrée aux Anglais (le Crotoy, 21 novembre). Le maréchal de Boussac est nommé lieutenant général des forces au-delà des rivières de Seine, Marne et Somme. Charles VII regagne Chinon où il se trouvait à la Noël de 1430, au moment où Jeanne arrive à Rouen. — Pendant le procès, on trouve le Roi à Saumur, dans la première quinzaine de mars ; de là, en avril, à Poitiers et à Chinon en mai. Dans ces deux dernières villes, tout lui rappelait le souvenir de Jeanne. A Poitiers, le 23 mars, on fait arrêter le frère Richard qui se livrait à des prédications peu agréables. Peut-être parlait-il de Jeanne d’Arc, de façon à émouvoir les populations ; le Roi étant là, on le fit taire. (Voyez document publié par Siméon Luce, dans Revue Bleue, 1892 (p. 201). Juste le 30 mai, Charles VII date, de Chinon, une lettre adressée aux gens de Reims (probablement rédigée par Regnault de Chartres), où il fait le plus grand éloge de Barbazan, « le seigneur de Barbazan qu’on nomme le chevalier sans reproche. » (Sur tous ces faits et ces dates, voyez Beaucourt, Charles VII, t. II, p. 278-280.) A Chinon, Charles VII n’oublie que la Pucelle à qui il doit son royaume. — Dès cette époque, les négociations étaient très actives avec le Duc de Bourgogne pour la reprise des trêves en attendant la paix. Philippe le Bon fait au Roi des ouvertures directes, à partir d’octobre 1430, aussitôt après l’échec de Compiègne. Ces négociations durèrent pendant tout l’hiver. Au mois d’avril 1431, au moment où le procès de Jeanne d’Arc est encore en délibéré, une ambassade bourguignonne, ayant à sa tête Jean de La Trémoïlle, vient trouver le Roi à Chinon ; elle repart aussitôt auprès du Duc de Bourgogne et le rejoint pendant le cours du mois de mai. On eût pu tenter quelque chose de ce côté, sinon auprès des Anglais, du moins près de Cauchon, près de Louis de Luxembourg, créatures du duc. Rien n’est signalé.