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vivement intéressée que je n’ai su le dire et le faire sentir, il faut remercier mon excellent hôte et lui dire un chaleureux « au revoir. » En une heure un quart, je suis redescendue à Pathankot, disant adieu à toutes choses. Voici le bel étang de Rani-Pokhri où je voyais chaque jour se mirer palais et mandirs. Plus loin, au milieu du champ de manœuvre, le grand arbre sur sa double terrasse projette toujours la grande ombre qui nous abritait avec les Maharajas et les généraux, le jour de la Grande Parade. Le long de la route s’alignent les palais blancs ; je revois le campanile de Bhim Sena qui est toute une pagode dans son enceinte close, et, en arrière, la « city » de Katmandou, puis les neiges qui se dépouillent lentement, pointe par pointe, des brumes du matin. Des coolies montent au-devant de nous et portent dans de grandes hottes les provisions de bois pour l’hiver, où le thermomètre sera chaque matin au-dessous de zéro, pour remonter, dans le jour, au degré de l’insolation.

Sur le dos des femmes, de petites têtes d’enfans émergent des draperies, ballottées, sans aucun soutien, et j’en ai grand-pitié ; il faut pourtant convenir que les enfans ne semblent pas mal se trouver de ce régime. Droits, bien portans, toujours dehors et trottant seuls à l’heure où nous les veillons encore, ils pullulent dans les villes et les villages. Tout le monde circule sous les beaux arbres au menu feuillage dont j’ignore toujours le nom et qui détachent légèrement sur le ciel bleu leurs grappes de grains d’or. Les paddy-birds, les grèbes, sont nombreux dans la vallée ; l’un d’eux se dresse joliment sur la plus haute branche. Les rizières s’étagent jusque sur les pentes les plus extraordinaires, sillonnées de canaux d’irrigation. Le riz constitue le fond de la nourriture de ce peuple avec les légumes bouillis et l’ail cru. Du riz, ainsi que du froment, ils tirent leur eau-de-vie, le raksi. Le radis joue un rôle prépondérant dans l’alimentation ; enfoui d’abord jusqu’à fermentation, puis séché au soleil, il dégage alors une odeur très déplaisante. D’autres champs sont couverts de plantes qui ont une tête ronde ajourée, de la grosseur de notre pavot. C’est, en hindoustani, du marouâ, en népalais du kôdô, dont on fait du pain noir.

A Pathankot, la dandi m’attend avec le cipaye d’escorte de la Résidence et le soldat de garde du Maharaja. Ragages et bearer sont partis la veille. En moins de cinq minutes je suis installée, tandis que des coolies se chargent de mes deux petits paquets