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menus détails assez lamentables. Ainsi nous l’entendons quelque part expliquer à l’un de ses correspondans pour quel motif il lui est, à présent, devenu impossible de retourner dans un certain « club » d’hommes de lettres berlinois dont il a été l’un des hôtes les plus assidus pendant cinquante ans : l’infortuné n’ose plus pénétrer dans un endroit où il se verrait aussitôt accaparé par de jeunes « élèves,  » dont chacun prend plaisir à accabler d’injures tous les hommes qui, naguère, ont été là ses amis et ses confidens. Ou bien nous le voyons se résignant à écrire des « pensées » sur des albums de ménages « financiers,  » qui l’entourent infatigablement de leurs prévenances, et devant lesquels sa politesse le condamne à renier, en rougissant, les principes religieux et politiques de sa vie entière. Et non moins triste est la contrainte qu’il s’impose pour affecter de s’intéresser aux productions, parfois assez répugnantes, de ses nouveaux « disciples,  » tandis que nous sentons qu’il n’approuve ni leur idéal esthétique ni l’audace grossière de leurs procédés. Près de la moitié du second volume de sa correspondance littéraire nous le révèle s’ingéniant à cacher l’aversion profonde que lui inspirent des œuvres sur lesquelles les « entrepreneurs » attitrés de sa célébrité exigent qu’il émette un jugement favorable.

Mais combien tout cela est peu de chose en regard du profond désarroi intérieur, de l’état à peu près constant de sombre mélancolie et de dépression que nous font voir les lettres des dernières années de Théodore Fontane ! Lui qui, jusqu’alors, dans toutes ses lettres à ses amis, s’était montré rempli d’une confiance, d’une gaité, d’un entrain imperturbables, avec une vraie insouciance d’enfant pour tout ce qui concernait sa situation littéraire comme pour les petits échecs ou déboires de sa vie matérielle, — allant jusqu’à plaisanter, devant ses éditeurs, sur l’obstination du public allemand à refuser de le lire, — le voici qui, maintenant, nous apparaît de plus en plus maussade et chagrin, de plus en plus mécontent de soi-même et d’autrui, au point que nous le surprenons sans cesse à souhaiter la prompte fin d’une existence dont la charge lui pèse plus lourdement sur le cœur d’année en année ! Il n’y a pas jusqu’aux voyages, à ses chères « promenades » de jadis, et jusqu’aux paysages les plus délicieux qui n’aient perdu désormais tout leur attrait pour lui. « Nous demeurons ici dans le voisinage immédiat d’un bois de hêtres et d’un ruisseau poissonneux, — écrit-il d’un village de Silésie, le 23 mai 1892. — Tout est très beau, très reposant et vivifiant, et puis aussi tout pénétré, pour moi, de- souvenirs historiques précieux. Mais comme les jours