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Quoi qu’il en soit, l’abjuration et le récit du procès-verbal sont plus que suspects. Les faits matériels confirment les déductions morales : Jeanne ne s’est pas mise en contradiction avec elle-même ; elle n’a pas renoncé soudain à l’attitude si conséquente et si logique adoptée par elle pendant le procès ; elle n’a pas désavoué sa mission ; elle n’a pas renié ses voix. Jeanne ne s’est pas parjurée.

L’évêque n’en était pas moins arrivé à ses fins. Par une véritable supercherie, il avait obtenu une sorte de déclaration publique dont il pouvait faire état auprès du gouvernement anglais. On n’en remontre pas à un vieux procédurier, à un diplomate ingénieux, à un théologien rompu aux finesses de la casuistique.

L’œuvre politique était achevée ; restait à terminer l’œuvre de mort. Ce ne fut pas long. Les Anglais étaient impatiens.

Jeanne ayant apposé une croix sur le parchemin, l’évêque mit gravement dans sa poche la sentence qu’il lisait, en tira une autre (ce qui suffirait pour prouver que tous les détails de l’affaire étaient prévus et préparés) et il reprit la lecture. Cette nouvelle sentence en latin condamnait Jeanne « à la prison perpétuelle, au pain de douleur et à l’eau d’angoisse. » — « Or çà, dit Jeanne au juge, aussitôt la lecture finie, entre vous, gens d’Église, menez-moi en vos prisons, que je ne sois plus entre les mains de ces Anglais. » Il y eut un moment d’hésitation. Mais l’évêque de Beauvais dit à l’huissier : « Conduisez-la où vous l’avez prise ! »

Parole terrible ! On ramène Jeanne dans sa prison ; peut-être espère-t-elle encore qu’il s’agit de formalités à remplir, d’un court délai : elle revêt les habits de femme comme elle l’a promis. Mais, au bout de deux jours, le dimanche de la Trinité, quand elle comprend qu’on l’a trompée, elle affirme son sentiment, son invariable et immuable sentiment, par le seul geste qui fût à sa portée et qui est, en même temps, sa seule sauvegarde : elle reprend l’habit d’homme.

Immédiatement, on envoie des greffiers pour constater le fait. L’évêque et les docteurs viennent dans la prison ; ils l’interrogent sur les raisons qui l’ont déterminée à agir ainsi. Elle répond : — « Ce qui étoit dans la cédule d’abjuration, je ne l’ai pas compris… Je n’ai entendu, alors, rien révoquer qu’autant que ce seroit du bon plaisir de Dieu… Si les juges le veulent, je reprendrai habit de femme… Mais à la condition que vous exécutiez la promesse que vous m’avez faite de me mettre ès prisons