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Le juge séculier est là : c’est le bailli royal. Il ne prononce même pas la sentence requise en pareil cas. Sans autre formalité, Jeanne est conduite au bûcher élevé très haut sur un piédestal de plâtre, pour qu’on la vît de loin.

On sait les derniers détails : la croix demandée, celle qui est faite de deux morceaux de bois par un soldat anglais, puis celle de l’église voisine qu’on apporte, l’eau bénite réclamée par elle, le « mercy très humble » qu’elle adresse « aux gens de quelque condition et estat qui sont autour d’elle ; » la déclaration dernière, à haute et claire voix, parmi les flammes : « Elle disait qu’elle n’était pas hérétique, ni schismatique comme le lui imputait l’écriteau… que tout ce qu’elle avait fait, elle l’avait fait par ordre de Dieu ; que ses voix ne l’avaient pas trompée. » Enfin, le cri poussé en rendant l’âme et en inclinant la tête : « Jhesu ! »


V

Ils ont donc condamné cette femme. Anglais et Français, laïques et prêtres, ceux qui sont là et ceux qui sont au loin. Le martyre de Jeanne a duré non pas quelques heures, mais une année entière : ni roi, ni pape, ni laïque, ni clerc, personne n’est intervenu. Jeanne, dont les victoires avaient eu un tel retentissement, a péri au milieu du silence universel. Personne ne sait ce qu’il a été dit, écrit ou pensé de sa mort, sur le moment. Le procès clos, et annoncé officiellement aux gouvernemens par le gouvernement anglais, au Pape par l’Université de Paris[1], il n’y a plus rien.

L’époque fut complice du martyre, et c’est pourquoi il fallait que le martyre eût lieu. Jeanne est morte parce que sa mort était nécessaire pour réparer les deux désordres qui affligeaient alors

  1. Procès (I, 185). La lettre est adressée « à l’Empereur, aux rois, ducs et autres princes de toute la chrétienté. »… C’est beaucoup pour une bergère, une femmelette, muliercula, comme dit leur latin ; elle est datée de Rouen, 8 juin 1431. — On écrivit, en même temps « aux prélats et seigneurs du royaume de France ; » la lettre est probablement aussi du 8 juin, quoique l’imprimé porte 28. — En outre, l’Université de Paris, qui n’avait pas le temps de transmettre au Pape l’appel de la Pucelle, écrit en cour de Rome, au Souverain Pontife et au collège des cardinaux pour les informer que Jeanne a été condamnée et a péri. Il serait intéressant de savoir si on retrouve ces lettres aux archives du Vatican. — Le texte de ces lettres présentant la plus grande analogie avec les lettres envoyées de la part du roi d’Angleterre, il est probable qu’elles ont été rédigées de la même main, soit par Thomas de Courcelles, soit par Cauchon.