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Comment a-t-on pu mettre en doute l’existence du patriotisme à ce moment ? C’est justement l’époque du patriotisme le mieux déterminé, le plus nettement déclaré, le plus actif et le plus efficace. Chez ceux mêmes qui ne sont pas nourris aux œuvres de l’héroïsme et du sacrifice, chez les gens qui paraissent n’avoir d’autre destinée que de faire leurs affaires, quelle que soit la domination politique et la dénomination nationale sous lesquelles ils vivent, le patriotisme, en réaction contre l’excès des misères publiques et des maux particuliers, s’affirme. Jusqu’aux extrémités des pays et dans les cœurs les plus froids, on sent grandir cette pensée : La France périra-t-elle ? et cette volonté : Il ne faut pas qu’elle périsse. Novellompont interpelle la Pucelle qu’il rencontre dans les murs de Vaucouleurs, vêtue en paysanne avec sa cotte rouge : — « Eh ! l’amie, qu’est-ce que vous faites ici ? Faut-il que le Roi soit chassé de son royaume et que nous devenions Anglais ? » Il se moque, d’abord ; mais il dit, pourtant, ce à quoi tout le monde pense et, bientôt, ce moqueur suivra Jeanne et quittera tout pour s’attacher à la fortune de l’inspirée.

A Rouen, sans que nulle autorité établie les y incite ou les y encourage, des bourgeois, assurément très tranquilles, très prudens, des fonctionnaires considérés, des marchands ayant des traités avantageux avec l’administration anglaise, un membre de cette grande famille des Alorge, que le gouvernement ménage ; plus tard Richard Mittes, marchand de bois, Jean Salvart, maître de l’œuvre de la cathédrale, Alexandre de Berneval, l’architecte illustre de cette merveilleuse rosace de Saint-Ouen, s’unissent avec des avocats, des barbiers, pour organiser le complot, d’une audace inouïe, qui délivrerait la ville et la province. Dans la campagne, ce sont les paysans qui se soulèvent et qui, eh 1435-36, enlèvent et « remparent, » une à une, toutes les forteresses de l’Andelle et du pays de Caux.

A Compiègne, les clercs : un homme qui fut un des héros du siège, l’abbé de Saint-Pharon, avait, auprès de lui, trois religieux, à l’aide desquels il défendait vaillamment la cause française dans la région ; ils s’employèrent à empocher la reddition de Meaux aux Anglo-Bourguignons. Cauchon les fit arrêter, à la grande indignation du Religieux de Saint-Denys[1]qui, en racontant ce

  1. Religieux de Saint-Denys (t. VI, p. 433).