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d’être involontaire. J’ai, croyez-le bien, un profond et humble sentiment de mon infériorité vis-à-vis de vous, de mes torts aussi : je vous ai tant donné dans votre enfance le spectacle d’une existence agitée de désespoirs injustifiables !… Aujourd’hui, je me rends compte de toutes mes erreurs, du gaspillage de temps et de facultés dont le souvenir m’accable, des vaines agitations que je ne savais pas combattre, qui devenaient pour moi des sources de larmes et de stériles désespoirs. » Ces pénibles aveux ne suffisent pas au besoin d’expiation qui s’est emparé de ce cœur exalté ; elle ajoute encore : « Je me sais indigne d’être votre mère, mais croyez que si je pouvais donner pour votre bonheur et celui de vos enfans chaque goutte de mon sang, chaque instant de joie, ce me serait la suprême félicité ! Voilà tout ce que je peux vous dire du fond de mon âme, et si d’ailleurs je vous ai déplu en quelque chose, faites la part d’un passé ignorant, dur et difficile, dont je n’ai certes pas le droit de me plaindre, mais qui, en me faisant souffrir avec une rare violence, a laissé des traces ineffaçables. Voyez-y l’impossibilité où je me trouve de vous satisfaire en tout, d’être jamais à votre niveau ; pensez à moi avec indulgence et ne me bannissez pas de votre tendresse. Que je la mérite ou non, elle est ma plus chère consolation. Vous m’ôteriez tout en me l’ôtant ! »

De pareils accens peuvent servir d’enseignement et d’exemple, mais ils vont au cœur. Au surplus, on l’aura remarqué plus d’une fois déjà, la fermeté et l’originalité de la langue traduisent dignement celles de la pensée chez Mme Kalergis, en dépit de quelque accent étranger dans la construction de la phrase. Ses lettres sont un agréable monument de cette littérature française du dehors que l’universalité de notre langue fait fleurir çà et là par le monde depuis quelques siècles. On trouverait plus d’un trait heureux à glaner dans sa correspondance. Lisez par exemple cette pensée si nettement frappée sur le talent d’utiliser dans la vie les heures favorables et les promesses de la « veine, » chère à un de nos plus spirituels dramaturges : « Il n’est point d’existence assez déshéritée pour n’avoir point rencontré une chance : les courageux la reconnaissent, la saisissent et leur récompense est immédiate ! » Admirez encore ce noble aphorisme qui contredit courageusement certaines illusions de notre temps : « Les grandes âmes seules ont place pour l’amour, les grandes intelligences pour la