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Génie du Christianisme. Chateaubriand, c’était le poète tel que le concevait et tel que l’attendait Joubert : celui-ci l’a aimé, soutenu, dirigé, et même formé. Si, comme le conjecture avec vraisemblance M. Pailhès, il a collaboré aux célèbres articles de Fontanes sur le Génie, il a eu de plus l’insigne mérite de prononcer, au lendemain de son apparition, sur l’œuvre naissante, le jugement même de la postérité.

D’autres amitiés, surtout féminines, presque toutes contractées, ou du moins délicatement cultivées dans le salon de Mme de Beaumont, vinrent sinon consoler Joubert de la mort prématurée de cette dernière, tout au moins lui en adoucir l’amertume. C’était Guéneau de Mussy, Chênedollé, surtout Molé, pour lequel Joubert semble avoir eu une affection presque déférente, et qu’il appelait « son Caton de vingt ans : » nous avons une lettre de Molé à Joubert qui est un joli modèle de juvénile assurance ; il nous est difficile de pardonner à ce doctrinaire avant la lettre d’en avoir imposé au trop timide et scrupuleux Joubert, et d’avoir comme invité ce dernier, qui eut le tort de l’en croire sur parole, à condamner au feu une sorte d’oraison funèbre de Mme de Beaumont. Si vives d’ailleurs que fussent ces amitiés viriles, elles n’étaient pas pour remplir toute la « capacité » d’un cœur qui, tout naturellement, « aimait à aimer. » Le châtiment, a dit Joubert, le châtiment de ceux qui ont trop aimé les femmes est de les aimer toujours. » Qu’on fasse subir à cette pensée toutes les atténuations, restrictions, corrections ou « purifications » que l’on voudra, pour l’appliquer à Joubert lui-même : j’y consens, pourvu que l’on maintienne le principe d’une application personnelle. Joubert, — je le dis sans ironie, et en dépouillant le mot de toute acception maligne ou équivoque, — Joubert a été un perpétuel « ami des femmes. » Il était né tel, et la pureté de ses intentions, en le rassurant sur lui-même, lui donnait comme le droit de s’abandonner à sa propre nature. Le charme féminin agissait sur lui avec une promptitude et une force singulières : dès qu’il se trouvait en présence d’une femme aimable, intelligente et bonne, son « âme frôleuse » entrait en émoi ; une sorte d’inspiration s’emparait de lui ; il éprouvait le besoin de s’attacher cette âme de femme par tous les liens de la sympathie morale, et, si je puis dire, de communier avec elle par les parties les plus hautes, les plus fines, les plus délicates de son être intime. Causeur