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français[1], et qui fournirent à Morel l’occasion de ses premières attaques dans son livre fameux British Case in french Congo. La consultation de Me Barboux fut la réponse.

La politique domaniale de l’Etat du Congo a eu, dans la pratique, de très graves inconvéniens. Cette omnipotence de l’Etat, cette ingérence dans de grandes entreprises dont il fait en quelque sorte ses prolongemens ; ce cantonnement de l’initiative privée dans des limites si étroites qu’elle finit par être paralysée ; cette conception, vers 1896, d’un organisme singulier qui s’appellera le Domaine de la Couronne, sorte de liste civile affectée, non à la personne du Roi, mais à la réalisation de ses vastes projets en Europe, en Extrême-Orient et ailleurs, conception qui viole l’un des principes fondamentaux de la colonisation moderne, en rompant l’autonomie financière au détriment de la colonie ; le zèle suspect de certains agens d’Afrique qui fournissent aux missionnaires anglais, en quête d’abus à dénoncer, des armes faciles : tout cet ensemble de circonstances, de fautes et de maladresses finit par créer autour de l’État du Congo une atmosphère de défiance et d’hostilité. Au moment où s’effectua l’annexion à la Belgique, en novembre 1908, la situation financière était redevenue difficile, et les relations avec les puissances étrangères n’étaient guère empreintes de cordialité ; elles étaient même fort tendues avec la Grande-Bretagne.

Mais à côté de ces conséquences néfastes de la politique domaniale de l’État du Congo, on ne peut cacher qu’il y eut des compensations. Pour s’en convaincre, il suffit de se demander ce que serait la situation financière de la nouvelle colonie belge si, depuis vingt ans, elle avait dû se passer des deux tiers environ de son budget. Et même en se plaçant au point de vue uniquement civilisateur, on ne peut oublier que seules les ressources du domaine ont permis de développer tous les grands services publics. Grâce à cet appoint, les dépenses de la justice ont passé de 43 892 francs en 1891 à 1 million 30 000 francs en 1906, et celles de l’instruction et des cul tes de 10 000 francs à 473 425 francs[2].

C’est aux difficultés vaincues qu’il faut juger l’œuvre. Le régime « Léopoldien » a fait d’une entité politique à peine

  1. Maisons « Hatton and Cookson » et « John Holt. »
  2. Il est intéressant de rapprocher la répartition, dans deux colonies voisines, des dépenses dites de civilisation (dépenses administratives, judiciaires, enseignement, etc.), des dépenses dites de domination (dépenses militaires). — Voici comment cette répartition s’établissait dans l’État indépendant du Congo et l’Afrique orientale anglaise pendant l’année 1905-1906 :
    État indépendant du Congo « Afrique orientale britannique «
    (Budget : 29 936 650) « (Budget : 10 470 979) «
    Francs P. 100 Francs P. 100
    Administration civile 5 597 000 18,5 872 137 9,5
    Dépenses judiciaires 850 000 2,8 155 789 1,5
    Enseignement et cultes 473 000 1,6 « «
    Agriculture 1 533 931 5,0 167 463 1,6
    Totaux 8 473 931 27,9 1 195 389 12,6
    Dépenses militaires 5 536 040 18,5 3 570 416 34,0