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d’avancer ses affaires. Le Frère Léon, doux et véridique, adversaire irréconciliable de Frère Elie, semble avoir, honnêtement, reconnu le motif de cette étrange conduite. Elie, homme d’expérience, n’aurait fait, d’après lui, qu’agir par une nécessité de situation, necessitate humana. La crainte d’un rapt pieux n’était que trop justifiée par de nombreux précédens. La passion superstitieuse, depuis la quatrième croisade, pour les reliques et les nombreux et précieux ossemens rapportés d’Orient, était alors poussée à son paroxysme. Les pouvoirs publics, non plus que les particuliers, ne reculaient pas toujours devant les violences criminelles pour s’en procurer. « On voulut, dit le docteur Lemp, éviter un coup de main de la foule… de gens accourus de toutes parts qui tous voulaient voir le corps du saint et, si possible, en emporter des morceaux… Déjà, le trafic en avait commencé ; ne lui avait-on pas, avant l’ensevelissement, coupé ou arraché des cheveux pour les conserver ou les donner ? » Une chronique contemporaine énumère les reliques du Saint déjà apportées en Allemagne par le Frère Giordano de Giano.

A la suite de cet incident, la réunion du chapitre général fut très orageuse. Violemment attaqué, Frère Elie se défendit violemment. La lutte, qui devait continuer si longtemps, entre les adeptes fidèles du pur idéal, la plupart simples moines ou laïques du tiers-ordre, et les partisans de l’organisation traditionnelle, presque tous prêtres et prélats, l’aristocratie intellectuelle de la confrérie, était décidément ouverte. Dans l’impossibilité de s’entendre, on en référa au Pape. Après un blâme apparent adressé aux magistrats d’Assise, Grégoire IX, confiant encore, finit par donner raison à Elie et à son parti (28 septembre 1230). Dès lors, Elie plus libre d’agir à sa guise, sans tenir aucun compte de son chef, le trop longanime et pacifique Parenti, poussa les travaux de construction, basilique et couvent, avec une opiniâtreté surprenante. Il put faire mieux encore, après le chapitre général de 1232. Le jour de l’élection, il fit envahir la salle des séances par ses partisans, qui le placèrent de force sur le siège du général en l’acclamant bruyamment. Le pauvre Parenti, tremblant de tous ses membres, fondant en larmes, ne put que se dépouiller de ses insignes et donner sa démission. L’affaire, portée encore à Rome, en revint avec la décision ordinaire. Elie fut, officiellement, déclaré chef de l’ordre.