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Lemp seraient disposés à le croire. La supposition, si hardie qu’elle semble, n’aurait, en soi, rien d’invraisemblable. Aux XIe, XIIe et XIIIe siècles, cette multiplicité d’aptitudes et de connaissances n’est point rare dans le monde ecclésiastique. Frère Élie, après sa déchéance, semble bien, en effet, d’après les chroniqueurs, avoir rempli près du César excommunié, Frédéric II, les fonctions d’ingénieur militaire, aux sièges de Crémone et de Faenza. Néanmoins, pour affirmer son rôle d’architecte à Assise, il faudrait quelques preuves. Or, ces preuves font défaut. Les documens, conformes aux traditions, semblent, au contraire, bien établir qu’à côté de lui, avant et durant son généralat (1228-1239), il y eut toujours quelque professionnel, un ou plusieurs maîtres d’œuvre. Quel fut donc, ou quels furent ces premiers artistes ? Lequel surtout, constructeur habile autant que novateur hardi, après avoir dressé le plan général des sanctuaires superposés, sut mener si vivement les travaux que l’église inférieure put être inaugurée au bout de deux ans et l’église supérieure sans doute amorcée suivant les règles du style ogival ? Est-ce un Italien ? Est-ce un Allemand ? Est-ce un Français ? La question, souvent débattue, parfois obscurcie par l’intervention inopportune des préjugés ou vanités patriotiques, n’a point, vraiment, grande importance » si l’on veut bien se rappeler que l’internationalisme, au Moyen âge, dirige, dans le domaine religieux, toutes les évolutions de l’art autant que celles de la pensée.

En fait, depuis que les investigations précises et les recherches érudites et techniques de M. Enlart ont confirmé les pressentimens et les indications de Schnaase et de M. Thode, la Basilique d’Assise ne saurait plus prétendre à la primauté comme église de style gothique en Italie. Sur divers points de la péninsule, des moines de Citeaux étaient déjà venus élever des constructions d’un style bourguignon si franc et si pur qu’ils s’y pouvaient croire dans leur pays natal. Plusieurs de ces églises le leur rappelaient même par ce nom vénéré de Clairvaux ; c’étaient Chiaravalle près de Milan, Chiaravalle della Colomba, près de Plaisance, Chiaravalle da Cotignola, entre Ancone et Sinigaglia, quelques-unes fondées au XIIe siècle. La plus importante, celle de Fossanava, reconstruite de 1187 à 1208, entretenait un studium artium, une école des Sciences et Arts, qui fournissait à la contrée des artistes et des ouvriers travaillant