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donne le premier exemple. Le 18 mars 1904, le vapeur Berwick Castle passe dessus sans le voir et ne ressent qu’un faible choc. Il venait cependant de heurter un sous-marin de 200 tonnes, portant 2 officiers et 9 hommes. On ne retrouva le A1 que le lendemain, par 13 mètres de fond ; et l’on mit un mois à le renflouer. Atteint sur le haut du kiosque, il ne portait qu’un trou fort exigu, mais le coup dut tuer ou étourdir le commandant : le kiosque était marqué de sang. L’équipage, semble-t-il, n’avait fait aucune défense, les ballasts mêmes restaient pleins d’eau.

Arrivons au dernier de cette liste funèbre. Le 27 mai 1910, à 1 heure 56 de l’après-midi, le steamer à aubes Pas-de-Calais, faisant le service de Douvres, venait de quitter Calais et de s’« éviter » en sortant des jetées, quand, soudain, à une vingtaine de mètres devant son étrave, on aperçoit un périscope, celui du Pluviôse. On ne peut esquiver l’abordage, qui prend le submersible par bâbord arrière, éventre le ballast et déchire la coque intérieure. Le malheureux sous-marin, roulé latéralement, passe en talonnant sous le paquebot. Puis, l’arrière s’emplissant, l’avant émerge. Dans cette situation, l’arrière sur le fond à 17 mètres de profondeur, il demeure une dizaine de minutes, pendant lesquelles une embarcation du Pas-de-Calais est mise à l’eau, fait le tour de cette pointe d’acier désespérément dressée vers le ciel. Les hommes du canot frappent même la coque à coups d’aviron. Brusquement, elle s’abaisse, disparaît : le sous-marin se couche.

Tel est le drame vu du dehors. On peut en imaginer les causes et la marche interne. D’habitude, un sous-marin ne reste pas longtemps sans revenir à la surface jeter un coup d’œil par le périscope ; trois ou quatre minutes en moyenne. Quelquefois néanmoins, on descend à 12 ou le mètres se mettre à l’abri des mouvemens de la mer. C’est sans doute ce que venait de faire le commandant du Pluviôse, et peut-être avait-il perdu la « vue » une dizaine de minutes, ce qui d’ailleurs n’offre rien d’anormal, Mais il ne faut pas dix minutes à la malle de Douvres pour sortir des jetées et s’éviter. Toujours en retard d’ordinaire, ce jour-là, par exception, elle est exacte, et les courans, si forts dans ces parages, sont anormaux. Ils mettent le Pluviôse sur sa route.

Celui-ci remonte donc. Le périscope émerge. Le commandant aperçoit, mal, comme on voit dans une lentille au ras de l’eau,