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ont eu longtemps chez nous un succès retentissant. Ni l’un ni l’autre, toutefois, ne nous plaisaient, occupant nos esprits sans se gagner nos cœurs : mais il fallait l’action de deux hommes de leur race pour renverser l’ancienne idéologie, démolir ce que l’âge précédent avait échafaudé, et achever de secouer toutes les illusions. »

Trois quarts de siècle se sont écoulés depuis lors, et certes la presse politique allemande, pendant cet intervalle, n’a point manqué d’hommes courageux et habiles pour reprendre l’œuvre de destruction commencée par l’auteur des Lettres de Paris et par celui de Lutèce : mais je ne vois pas que personne y ait obtenu, à beaucoup près, le même « succès retentissant » jusqu’au jour où, il y a une vingtaine d’années, un jeune journaliste issu de la même race, M. Witkowski, — plus connu sous son pseudonyme de Maximilien Harden, — est venu s’imposer brusquement à l’attention de toutes les classes de la société, et avec un talent que son incontestable originalité n’empêchait pas de contenir en soi, me semble-t-il, quelques-uns des élémens distinctifs aussi bien de la manière de Louis Bœrne que de celle d’Henri Heine.


Je me souviens d’avoir rencontré M. Harden dans les couloirs d’un théâtre berlinois, précisément à l’époque où ce vigoureux talent tentait, pour la première fois, de se révéler. Je ne sais quelle actrice avait eu à se plaindre des procédés du plus considérable des critiques dramatiques d’alors, personnage que sa situation presque officielle paraissait devoir à jamais protéger contre toute atteinte : mais M. Harden, très courageusement, s’était constitué l’interprète des griefs et accusations de l’actrice, et aussitôt s’était mis à attaquer son illustre adversaire avec une éloquence passionnée et hautaine, un mélange d’élévation morale et de verve méprisante qui avaient fait de lui le, héros du moment. Aussi se le montrait-on du doigt, ce soir-là, dans la loge qu’il occupait avec l’actrice, sa cliente ; et moi-même, ayant appris son nom et le résumé de sa bruyante querelle, j’ai tâché de mon mieux à observer un jeune confrère dont la seule figure, du reste, avait déjà vivement intrigué ma curiosité.

Une figure étrangement fine et élégante, avec un maigre visage rasé qui aurait eu de quoi, au premier abord, suggérer l’idée d’un acteur de drame, sous la masse pesante des cheveux bouclés ; et, en effet, je ne serais pas surpris que M. Harden, comme plusieurs autres des principaux écrivains allemands d’aujourd’hui, eût passé par « les planches » avant de prendre conscience de sa vocation littéraire ; mais