Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/955

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lant de l’article 10 à propos de Rochette. M. Lépine n’a nullement usé des pouvoirs excessifs que cet article lui attribue, et nous mettons en fait que, dans l’état de nos mœurs, aucun préfet de police n’oserait le faire. C’est même pour ce motif qu’après avoir plusieurs fois dénoncé et condamné à mort l’article, on a oublié de l’exécuter.

Exécutons-le donc, ce sera justice ; mais, sous prétexte d’enlever au préfet de police des armes qui seraient effrayantes, s’il s’en servait, gardons-nous de le priver de celles dont il a besoin pour nous défendre. M. Lépine a raison : il faut que l’œil de la police soit partout, sa main aussi. Certains philosophes politiques conçoivent la police sous la forme d’une sorte d’entité qui, chargée in abstracto d’assurer la sécurité publique, doit s’acquitter de ce soin sans qu’on lui en donne le moyen. Le moyen, pour elle, est d’être mêlée à toute la vie sociale, d’y être utile, d’aider à son fonctionnement, d’y jouer un rôle. Dans l’exercice de sa fonction, la police rencontre souvent des crimes ou des délits : c’est pour cela que, très légitimement, le préfet est officier de police judiciaire et collaborateur du parquet. Il serait insensé de lui enlever cette attribution, et tout ce qu’on doit lui demander est de ne pas sortir de la mesure restreinte où il l’a depuis assez longtemps exercée. Quelques excès de zèle, quelques écarts de conduite même, de la part de certains agens très estimables d’ailleurs, ne changent pas le caractère des choses. Que M. Jaurès s’y attache, qu’il y appuie, qu’il s’y appesantisse, et qu’il pousse à ce sujet des clameurs tragiques, c’est son affaire ; mais que la commission, mais que la Chambre, mais que l’opinion s’égarent à sa suite, sans souvenir du passé, sans prévoyance de l’avenir, c’est contre quoi nous les mettons en garde. L’honneur et la force de la préfecture de police sont pour nous des garanties précieuses, et le petit scandale que peuvent provoquer les manipulations cuisinées dans un sous-sol par MM. Gaudrion et Pichereau ne nous détourneront pas de ce sentiment. Ce n’est pas au moment où les vengeurs de Liabeuf se multiplient d’une manière inquiétante que nous pourrions en changer. Que dire de la déposition de M. Prévet ? M. Jaurès a traité M. Prévet comme un coupable. Il fallait, dans l’intérêt de sa thèse et pour la justification de son discours à la Chambre, que M. Prévet, ennemi de Rochette, eût abusé de son influence politique pour déterminer sa chute, faire ouvrir une poursuite contre lui et ordonner personnellement son arrestation. M. Jaurès a interrogé M. Prévet avec perfidie, mais celui-ci ne se laisse pas démonter pour si peu ; il a remis choses et gens à leur place ; il a montré les énormes confusions où était