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capable de l’étudier avec la même sérénité que « les révolutions d’Athènes ou de Florence, » comme Taine s’était flatté de le faire. M. Aulard ne croit pas à l’impartialité de Taine : « C’est en homme de droite que, flatté de la bienveillance du beau monde, il écrira l’histoire de la Révolution. » (Taine historien, p. 68.) Et il va jusqu’à le soupçonner d’« arrivisme, » alors que Taine a eu le secret peu envié de se faire des ennemis dans tous les camps, à mesure que paraissait chacun de ses volumes. Faire de Taine un arriviste et un snob, c’est véritablement dépasser les bornes du paradoxe. Faut-il rappeler le billet qu’il adressa (février 1887) à la princesse Mathilde qui s’était choquée de son portrait de Napoléon, comme M. Aulard se choque du portrait de Robespierre ? « Il est dur parfois d’écrire l’histoire en historien critique et sincère. J’ai blessé à fond les royalistes en trouvant le chiffre de l’impôt sous l’ancien régime, les 81 pour 100 du revenu net, extorqués au paysan par les taxes royales, seigneuriales, ecclésiastiques. J’ai blessé plus à fond les républicains et toutes les puissances actuellement régnantes en montrant ce qu’a été véritablement la Révolution, c’est-à-dire d’abord une jacquerie rurale, puis une dictature de la canaille urbaine. Je vais blesser les partisans de l’Empire et les admirateurs de la France administrative, centralisée, manœuvrée tout entière de haut en bas, telle qu’elle existe encore aujourd’hui. Tant pis pour moi, j’y étais résigné à l’avance. » (Hippolyte Taine, sa vie et sa correspondance, tome IV, p. 229.) On avouera que, pour un homme désireux de plaire et de parvenir, il eût été plus commode et plus avantageux de choisir un autre sujet, ou de traiter celui-ci différemment.

D’ailleurs, le tort de Taine n’est pas uniquement de troubler les mânes des grands conventionnels, c’est, d’une manière générale, de contrarier les idées reçues, de déboulonner des statues. « On ne fait pas d’histoire, dit quelque part M. Frédéric Masson, sans casser des réputations. » Il faut s’attendre à des représailles. Un autre historien, qui n’était pas suspect d’arrière-pensées politiques, et qui s’occupait de questions qu’on qualifiera difficilement de brûlantes, n’a pas davantage été épargné pour s’être écarté trop volontiers, lui aussi, du chemin battu. Dans sa préface de la Monarchie franque, Fustel de Coulanges écrivait en juin 1888, guère plus d’un an avant sa mort : « Pas plus dans ce nouveau volume que dans la Cité antique, je n’éprouverai de