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I

Il est nécessaire, si nous entendons nous adresser à d’autres qu’à ceux qui déjà sont de notre avis, de nous interroger sur la méthode qui convient à la question. Les hommes qui se trouvent dans des camps différens, d’ordinaire, se comprennent peu, parce qu’ils ont d’autres habitudes d’esprit, d’autres pierres de touche de la vérité, d’autres idées sur la manière de diriger leurs recherches.

En ce qui concerne le problème des rapports de la morale et de la religion, la méthode la plus communément employée est ce qu’on peut appeler la méthode conceptuelle. On part de certaines définitions, et, les confrontant entre elles, on en déduit, par voie de syllogismes, la solution cherchée.

Cette méthode a de nombreux avantages. Elle donne à l’esprit la sensation de la clarté ; et l’on sait qu’en France notamment, clarté est volontiers synonyme de vérité. Descartes n’a-t-il pas fait de l’évidence le critérium de la certitude ? Il est vrai que, quant à lui, il entendait les mots évidence et certitude dans des sens extrêmement subtils, qu’il serait difficile de rendre clairs pour un lecteur non initié aux recherches métaphysiques.

La méthode conceptuelle frappe l’esprit par la force de la logique. Quand un raisonnement est bien suivi, nous sommes séduits ; et facilement nous passons condamnation sur l’insuffisance des prémisses. Un je ne sais quoi nous pousse à juger du fond par la forme, et à croire que ce qui est conséquent doit être vrai. Il est si rare que l’on raisonne ! En général, on se borne à énoncer son opinion, et, en guise de démonstration, à l’affirmer d’un ton d’autorité, ou à la développer avec des mots, des comparaisons, des exemples et des images. Un discours où, à travers un langage élégant, l’on discerne des principes, une argumentation, une conclusion en règle, a d’avance conquis bien des suffrages. La scolastique n’est pas près de perdre son prestige.

La méthode conceptuelle est d’un emploi très commode.

Par exemple, je définis la morale : l’adaptation des dispositions intérieures de l’homme à ses conditions d’existence. Et je définis la religion : le mépris de la vie actuelle et la poursuite de fins dites surnaturelles, contraires aux fins de la nature.