Pierre après Rousseau, car leur influence n’a pas été perdue.
« Faire apprendre la verge à la main, jusqu’à l’Evangile, s’écrie Bernardin, et enseigner à l’enfance une sagesse qui consiste à ne pas remuer les jambes, sous peine du fouet ! O folie ! » Et il raconte qu’une femme d’esprit, qui aimait les enfans, vit un jour, chez une marchande de la rue Saint-Denis, un petit garçon et une petite fille qui avaient l’air fort sérieux : « Vos enfans sont bien tristes, dit-elle à la mère. — Ah ! madame, répondit celle-ci, ce n’est pas manque que nous les fouettions bien pour ça… » Mais Bernardin n’est pas homme à demeurer dans un sage tempérament. Ce n’est pas seulement le fouet, mais tous les genres de sévérités et de rigueurs qui lui paraissent odieuses, et il s’indigna un jour contre l’Académie parce que dans son Dictionnaire, au mot châtier, elle avait inscrit cet exemple : Un père a le droit de châtier ses enfans.
Faire pleurer l’enfant, quel crime ! Aussi Bernardin de Saint-Pierre dit en parlant de Paul et Virginie : « Jamais des sciences inutiles n’avaient fait couler leurs larmes. Jamais les leçons d’une triste morale ne les avaient remplis d’ennui. » Point de menaces ! point de punition ! C’est par leurs penchans même, habilement démêlés et gouvernés, qu’il faut conduire les enfans, et, avant Fourier, Bernardin invente le travail attrayant ; avant Fourier, il décrète que les attractions sont proportionnelles à la destinée ; c’est-à-dire que toute âme est portée d’instinct et par un attrait invincible, qu’il s’agit seulement de favoriser, vers la carrière qu’elle doit fournir et la destinée qu’elle doit remplir. Mais en homme de goût, en poète, Bernardin ne prend pas sous son patronage tous les penchans de l’enfance. Plus conséquent, Fourier ayant observé que l’enfant a une sympathie naturelle pour la malpropreté et un penchant décidé pour ce qu’il appelle le patrouillage, Fourier veut utiliser dans l’intérêt social cette heureuse disposition et il enrégimente les bambins qui aiment à se salir les doigts, dans les rangs d’une nombreuse armée qu’il appelle, si je ne me trompe, l’armée des chenapans et des chenapanes ; et qu’il charge d’enlever la boue des rues. Voilà un réalisme éducatif qui eût fait horreur à Bernardin. Ce n’est pas pour rien qu’il est poète. Il veut entourer l’enfant d’objets gracieux et charmans qui produisent sur sa jeune âme des impressions décisives et la prédisposent aux sentimens nobles et doux.