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dans un roman de la fin du siècle dernier, écrit sous l’influence ; de Bernardin de Saint-Pierre, on voit un père qui se tourmente sur l’avenir de son fils et se demande avec terreur si ce ne sera pas un jour un illustre scélérat. Qu’a fait le pauvre enfant pour inquiéter ainsi son père ? Il a treize ans et il n’aime pas encore !

Au surplus, pour compléter l’éducation naturelle dont il attend d’impérissables résultats, Bernardin recourt à deux moyens qui lui paraissent tout-puissans et qui jouent un rôle important dans l’éducation de Paul et Virginie, à savoir : les inscriptions et les cérémonies. Les inscriptions ! C’est la manie de Bernardin de Saint-Pierre. Il en veut mettre partout ; il attribue une vertu magique à certains mots écrits en majuscules, en gros caractères, gravés sur la pierre ou sur le bois et de nature à frapper les regards. Aussi rêve-t-il d’établir dans une des îles de la Seine ce qu’il appelle : un Elysée, c’est-à-dire un lieu consacré à la fraternité et à l’union des cœurs sensibles. Dans ce lieu, enrichi des statues des bienfaiteurs de l’humanité, s’élèvera un temple, en forme de rotonde, portant sur la frise cette inscription : A l’amour du genre humain. À la vue de ces mots magiques, comment ne pas aimer le genre humain ! Et tout à l’entour de cette inscription, il y en aura d’autres qui répandront dans les cœurs l’amour de toutes les vertus : « sans doute, dit Bernardin, ceux qui reposeraient aux environs de ce temple né seraient pas des saints, mais au-dessus de la principale porte on lirait, sur une table de marbre blanc, ces paroles divines : On lui a beaucoup remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ; sur une autre partie de la frise on graverait celle-ci, propre à réprimer nos ambitieuses émulations : Le plus petit acte de vertu vaut mieux que l’exercice des plus grands talens. »

Et aux inscriptions s’ajouteraient les cérémonies. Pour honorer la mémoire de quelque homme illustre, ou à certaines époques chères à la patrie, l’État donnerait des repas au petit peuple, en le faisant asseoir sur l’herbe, par corps de métiers, autour des statues de ceux qui les ont inventés ou perfectionnés, et au son des flûtes et des musettes. De grandes processions feront le tour de ce lieu de délices, processions où figurera la jeunesse distribuée en chœurs, la tête couronnée de feuillages et de fleurs des champs. Il n’y manquera ni jeunes filles en robes blanches, ni grenadiers émus et sensibles.

Des inscriptions et des cérémonies ! Plus tard Saint-Just