Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les mondes germain et roman confinent, et d’ailleurs les pastiches froidement emphatiques des Floris, des Coxcie, des Vœnius avaient montré à Rubens ce qu’il fallait éviter. Déjà sa décoration de Santa-Maria-Nuova (il l’achevait quand une lettre lui apprit que sa mère se mourait à Anvers, et ce furent ses derniers coups de pinceau à Rome) annonce le prodige de ses grandes synthèses picturales. Plus d’une fois, aux heures de lumière propice, nous avons frémi de joie en voyant dans la vieille église de Saint-Philippe de Néri ces grandes figures solennelles, conçues à l’antique et comme électrisées du romantisme septentrional. D’autres peintres flamands avaient deviné l’avenir de l’école dans l’union de la culture étrangère et du génie national, — au profit de ce dernier : Wenceslas Coeberger, Abraham Janssens. Mais leurs moyens étaient débiles. Une œuvre typique de Janssens (musée d’Anvers) nous montre la pucelle Antverpia recevant des mains du vieux Scaldis une urne pleine de fruits. Ce ne sont point là de ces êtres viables, « capables de faire souche, » dont la création révèle le vrai génie. — Le maître inconnu qui peignit le Tribut de saint Pierre prêté par l’église Saint-Jacques d’Anvers, entrait résolument, dans la voie de l’avenir. Quel est ce peintre ? Adam van Noort, disait-on jadis. Mais si nous savons toujours peu de chose sur le second maître de Rubens, du moins pouvons-nous dire aujourd’hui qu’il était attaché comme Vœnius aux formules italianisantes et d’une manière tout aussi dogmatique. Faut-il continuer de voir dans l’auteur de ce Tribut un précurseur du peintre de la Descente de Croix ? Nous ne le croyons pas. Au contraire, il s’inspire de Pierre-Paul ; c’est Jordaens jeune ou van Dyck à ses débuts. Peut-être est-ce Rubens lui-même. Seul en tout cas, le peintre de la cour de Gonzague pouvait répondre victorieusement au sphinx qui gardait les routes futures de l’école flamande.

Le retour de l’Œdipe anversois coïncida avec une aurore de paix dans les Flandres. En 1609, l’archiduc Albert concluait avec les Hollandais la fameuse trêve de douze ans, et cet événement, si important pour l’avenir de Rubens et de son école, est rappelé à l’exposition par le tableautin compliqué et spirituel (musée du Louvre) où le peintre hollandais Adrien van de Venne raconte les « joyeusetés et esbattemens » par lesquels on fêta le traité. Seigneurs, nains, amours, musiciens, hallebardiers, valets, paysans peuplent un charmant paysage parmi les