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pensée septentrionale au XVIIe siècle, il est non moins vrai que Rubens incarne la beauté par laquelle la Contre-Réforme faisait entrevoir aux fidèles les délices et les richesses du ciel.

Ses grandes compositions réunies à l’exposition indiquent avec quelle volonté et quel enthousiasme Rubens se pénètre du nouveau lyrisme religieux. La Flagellation de l’église Saint-Paul d’Anvers, la Descente de Croix du musée de Valenciennes, l’Adoration des Mages de l’église Saint-Jean de Malines, la Pêche Miraculeuse de l’église Notre-Dame de Malines, sont antérieures à 1620 et relèvent de l’idéal dramatique et technique exprimé par le maître à son retour d’Italie, dans ses retables célèbres de la cathédrale d’Anvers. L’action scénique importe avant tout aux yeux du peintre, et les couleurs s’individualisent tout comme les attitudes des personnages. Ses rouges, ses gris, ses noirs ont une valeur propre ; les tons brunâtres de la période italienne peu à peu disparaissent, mais les teintes maîtresses s’isolent, participent peu ou point des couleurs voisines. Regardez l’étonnant pécheur qui, dans le tableau de Malines, hisse d’un effort héroïque la nasse miraculeuse : peu de types sont plus saisissans dans la figuration populaire des tragédies rubéniennes. Avec sa barbe en broussaille d’or, sa rouge vareuse de mer, ses hautes bottes de cuir lisse, tendues comme une peau de phoque, il semble échappé de je ne sais quel poème moderne du travail. Mais il a presque trop d’importance ; c’est un grand premier rôle qui risque de compromettre le rythme général du retable.

Avec quelle souplesse et quel élan Rubens va peu à peu substituer le lyrisme au drame, et préférer l’unité d’accens et d’effet à tout autre idéal, c’est ce que démontrent à l’exposition le retable de Saint Roch (1623), de la collégiale d’Alost, encadré de son imposante boiserie à colonnes dessinée, dit-on, par le maître lui-même, le retable de Saint Bavon (même année) de la cathédrale de Gand, la délicieuse Éducation de la Vierge (1625) du musée d’Anvers, l’énorme Mariage mystique de sainte Catherine des Augustins d’Anvers (1626) et le Martyre de saint Liévin du musée de Bruxelles (1635). Le Mariage mystique est à la place d’honneur de la grande salle. C’est une vision céleste, et Reynolds n’exagérait point en disant : « Je crois n’avoir jamais trouvé plus de puissance dans une œuvre d’art. » La vierge trône sur un large piédestal où la petite sainte Catherine s’agenouille devant le bambino. Puis tout autour, la couronne de