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décrits en termes si mâles dans l’une des plus belles pages des Maîtres d’autrefois ? Il vivait dans son beau palais du Wapper parmi ses amis, ses disciples, ses tableaux italiens et flamands, ayant à ses côtés cette belle enfant des Flandres, cette Hélène Fourment qu’il ne cessait de peindre en sainte femme, en Vénus, en Diane. Il vivait, créant sans cesse de la beauté, produisant sans relâche, animant ses élèves, communiquant 3a flamme aux peintres, aux sculpteurs, aux graveurs, aux tapissiers de son école. Il vivait heureux du bonheur et de la lumière qu’il répandait. Tout le monde l’aimait. Quand le graveur Vosterman, perdant la raison, poursuivit Rubens dans les rues d’Anvers, la population spontanément demanda qu’on protégeât son peintre. Et comment ne point l’aimer ? Regardons son portrait que nous envoie le musée de Vienne. Il a soixante ou soixante-deux ans. Il est devant nous sans fierté, et pourtant, quoi de plus aristocratique que cette attitude ? Il n’a dissimulé aucun des stigmates de l’âge : rides, bouffissures des yeux, alourdissement des chairs ; et pourtant, comme il est jeune dans son vêtement noir, où la collerette met sa large tache blanche ! Sa main gauche s’appuie sur le pommeau de l’épée ; la droite, — celle qui continue de produire des chefs-d’œuvre, — est gantée et se perd dans l’ombre. Est-il exagéré de dire que Rembrandt n’a jamais été plus sincère, Velazquez plus sobre, Titien plus noble, — et que Rubens lui-même n’a jamais été plus grand ? Et pourtant, le maître n’a plus que quelques années à vivre. Dans deux ou trois ans, son grand cœur aura cessé de battre, sa « main turbulente » sera froide à jamais. Mais ses créations resteront une source inépuisable de force, de vie, de lumière, et ceux qui voudront dire la gloire du héros flamand craindront toujours de mériter le reproche qu’un vieux biographe adressait à ses panégyristes : « Ils prennent du charbon pour peindre le soleil d’or. »

Les œuvres de van Dyck constituent une part non moins considérable de l’exposition. Dans une vaste salle, pendant du salon Rubens, les grandes toiles religieuses que le disciple préféré exécuta pour les églises des Flandres, sont réunies et soumises une nouvelle fois à une épreuve, redoutable pour leur gloire (on les avait déjà rassemblées à l’exposition van Dyck à