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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/223

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Nous espérons que les détails qui précèdent auront fait comprendre l’enrichissement de la société attique, de 480 à 431, mieux que ne le feraient des chiffres d’ensemble, toujours très délicats à comparer à des chiffres modernes. Mieux vaut, en terminant, appeler l’attention sur celui des symptômes de cet enrichissement qui intéresse le plus l’historien : nous voulons dire la manière, unique jusqu’alors, dont fut rémunéré à Athènes, dès le milieu du Ve siècle, le travail intellectuel.

Nous ne parlons pas des grands travaux de Périclès, œuvre de l’Etat ou plutôt de l’empire, non plus que du théâtre, qui était une institution officielle. Mais l’art, la science, trouvaient alors à Athènes un public plus large que nulle part ailleurs, sauf peut-être dans l’Amérique des Grecs, la Sicile. Au lieu que les maisons de Miltiade, d’Aristide, de Thémistocle, vers 480, étaient dépourvues de tout ornement, la maison d’Alcibiade, vers 415, était déjà remplie d’objets d’art de valeur, et ce luxe de bon aloi devait se développer au siècle suivant. L’exemple était suivi de loin par la grande majorité des habitans d’Athènes, à en juger par les figurines innombrables auxquelles on cherche, — bien inutilement, — une destination religieuse. Et surtout, il y avait désormais à Athènes ce que Milet seule, auparavant, avait peut-être connu au VIe siècle : un commerce de librairie. Dans la génération précédente, Pindare avait encore dû faire reproduire ses œuvres par son ami Enée, pour les quelques puissans personnages désireux de les posséder. Maintenant, à Athènes, malgré la cherté fréquente du papyrus, on trouvait dans les bazars de l’agora les œuvres d’Anaxagore pour 1 drachme. Un commerçant pouvait donc copier ou faire recopier à plusieurs exemplaires des livres de pure spéculation, anciens ou récens, venus d’Orient ou d’Occident, et compter qu’un bourgeois d’Alopèce passerait et les achèterait. Athènes seule pouvait offrir aux sophistes d’Ionie, aux rhéteurs d’Occident, un public aussi étendu et aussi averti que celui qui a critiqué Protagoras, et apprécié pour la première fois Hérodote.


E. CAVAIGNAC.