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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/225

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sujets ou ces trois emblèmes : Patria, Amor, Fides. Los Pirineos, épopée et drame à la fois, sont consacrés à la patrie. Nous en avons naguère entretenu les lecteurs de la Revue[1]. L’amour est représenté par « la Celestina, tragi-comédie de Caliste et Mélibée. » Ce nom et ce titre sont exactement ceux du chef-d’œuvre littéraire, classique en Espagne, dont Fernando de Rojas fut l’auteur à la fin du XVe siècle et que M. Pedrell a fait sien avec respect, avec amour, en grand artiste pieux.

Dès 1891, en son manifeste intitulé Por nuestra musica, étudiant l’avantage et les facilités que peut offrir à la musique un livret mêlé de poésie et de prose, M. Pedrell déclarait que l’idéal du genre, de ce genre mixte, lui paraissait réalisé par la célèbre tragédie de Caliste et Mélibée. Il a fallu naturellement réduire un original impossible à représenter (ne comportant pas moins de vingt et un actes) et l’adapter aux exigences, même littéraires, du drame lyrique. D’autre part, il a paru profitable à l’équilibre comme à la variété du drame, d’amplifier, de « pousser » telle ou telle scène accessoire, esquissée à peine dans le texte primitif, et de la transformer en tableau. Mais pour l’une et l’autre besogne, c’est de Rojas toujours, de son génie, au moins de son temps, que s’est inspiré M. Pedrell. C’est dans l’œuvre de Rojas, ou, à défaut de celle-ci, dans telle autre, contemporaine, analogue et s’y rapportant, que M. Pedrell a trouvé l’esprit et le plus souvent la lettre même des retouches nécessaires, sous forme tantôt de restriction et tantôt de développement.

En somme (et dans la préface du poème il s’explique et se justifie à cet égard), M. Pedrell n’a fait que ramener à la mesure non pas certes commune, mais possible, un ensemble démesuré. Le dessin général de l’action, l’évolution, les péripéties, le dénouement, les caractères, tout lui fut sacré. Surtout, suivant les termes que lui-même il emploie, il a respecté le texte de la composition primitive, « cette partie sculpturale qui se prêtait d’une façon tout à fait extraordinaire à recevoir un magnifique accroissement par l’exaltation de la parole chantée. » Et cela, nous le verrons bientôt, cette espèce de surcroît de lumière et de force que donne à la poésie la musique, cette transfiguration du verbe, et du verbe d’autrefois, par les notes d’aujourd’hui, forme un des caractères éminens de l’œuvre de M. Pedrell et l’une, qui n’est pas la moindre, de ses multiples beautés.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre 1901.