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ont été préconisées par Socrate. Et il semble à plusieurs que, par-là, Socrate ait constitué la morale comme science indépendante. Mais, si l’on y prend garde, l’observation socratique était orientée par certaines croyances qui, d’abord, en déterminaient l’objet et la signification. Socrate, prenant son point de départ dans les opinions des hommes, cherche en quoi consistent, en ce sens, la piété, la justice, la vertu, le bien, la sagesse, la liberté. Évidemment, il admet que ces choses existent, et que leur existence est légitime et désirable. Il cherche proprement comment il faut agir, pour les réaliser selon leur essence véritable. Mais dans ces objets sont nécessairement impliqués des élémens qui ne peuvent être assimilés à de simples faits : tels, la valeur attribuée à certaines formes d’existence qui sont représentées dans des idées plutôt que manifestées dans la réalité ; le devoir, incombant à l’homme, de travailler à réaliser ces fins idéales ; la possibilité, pour l’homme, de faire prédominer sa raison sur ses instincts ; et le concours de forces invisibles pour couronner ses efforts et faire prospérer ses œuvres. Si l’observation socratique nous fait connaître nos devoirs, notre dignité d’homme, nos destinées supérieures, c’est qu’elle présuppose la croyance à ces objets indémontrables. Voir, c’est interpréter. Le savant trouve des lois dans la nature, parce qu’en son esprit réside l’idée de loi, à laquelle il rapporte les phénomènes. Le moraliste socratique apprend par l’observation que l’homme a des devoirs à accomplir et un idéal à rechercher, parce qu’il contemple les faits moraux avec un esprit imbu de la croyance au devoir et à l’idéal.

Telle est l’observation socratique, telle est la question qu’elle pose à la nature. Des termes de cette question la réponse dépend. Dira-t-on qu’il faut, quand on observe, écarter tout postulat, et ouvrir simplement les yeux, de manière à voir les choses telles qu’elles sont en soi ? En fait, c’est impossible : connaître signifie reconnaître. Si le concept sans intuition est vide, l’intuition sans concept est aveugle, selon la formule de Kant.

Mais alors, conclura-t-on, pourquoi ne pas appliquer à l’étude des choses morales le genre même d’observation qui réussit dans les sciences, et auquel appartient ce privilège, de fournir des résultats qui s’imposent à tous les esprits ? Cette solution, certes, est très concevable. Mais comme, malgré qu’on en ait, on ne trouve que ce qu’on cherche, l’homme qui, pour considérer les