Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce que fut l’entretien, on peut le deviner. Alfred de Vigny s’exprima, sur Brizeux, avec cette chaleur de cœur et cette grâce d’expression qui lui faisaient gagner toutes ses causes. Si occupé qu’il fût, le ministre promit de lire, dans le numéro du 1er juillet de la Revue des Deux Mondes, un fragment des Bretons, les Conscrits de Plomeur.

Il fit part à Vigny de son impression, après cette lecture :


Votre aimable entretien, monsieur, m’a valu un second plaisir. J’ai lu le chant des Conscrits. J’y ai retrouvé cette voix touchante et pure que j’avais tant aimée dans d’autres vers de M. Brizeux. Je suis tourmenté du désir d’être utile à un homme de talent, de cette simplicité de vie, de cette noblesse d’âme. Il faut que je cherche et que je me hâte, dans ce passage aux affaires, encombré de tant de soins. En attendant, pourriez-vous engager M. Brizeux à me faire l’honneur de venir dîner chez moi le même jour que vous ? Voici une lettre que je lui envoie par vous, si vous le permettez, ne sachant pas son adresse. Il excusera ce brusque compliment par l’extrême désir que j’ai de le connaître, et de l’obliger, si je le puis.

Recevez, monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée et de mes dévoués sentimens.

VILLEMAIN.


La crainte de se montrer avec une tenue incorrecte ou inélégante détourna-t-elle Brizeux d’accompagner Alfred de Vigny chez Villemain ? Ce qu’on sait de lui, par ailleurs, peut donner du crédit à cette supposition : « Je me souviens, dît M. de Courcy (cité par l’abbé Lecigne), que je lui offris de l’introduire dans un salon où l’on patronnait très utilement les candidats. Il s’y refusa, se contentant d’alléguer qu’il n’avait pas d’habit et je crois qu’il disait vrai. » Produisant une autre raison, qui peut-être cachait la vraie, Alfred de Vigny en fut réduit à excuser son protégé :


Après votre empressement si gracieux, comment n’aurais-je pas envoyé votre lettre à l’instant même ? Mais l’auteur de Marie était absent de Paris. Il ne reviendra de la campagne que lundi, et, quelques jours après celui-là, je vous conduirai ce fugitif pieds et poings liés.

Il aura besoin, j’en suis sûr, de vous remercier de vos projets, de vos promesses, de votre attention, mais je le défie d’en être plus touché que je ne le suis, monsieur, et je vous le dirai encore demain, en vous réitérant l’assurance de mes sentimens d’amitié.


Comme conclusion de tous ces pourparlers, M. Villemain fit