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première difficulté qui se présente à eux ; il y en a une autre, plus délicate encore et plus grave, puisqu’elle touche à la politique extérieure et aux rapports du pays avec la Porte. Celle-ci a déclaré, on s’en souvient, qu’elle ne tolérerait pas que la Crète nommât des députés à l’Assemblée hellénique, et rien n’était plus légitime que cette protestation préalable. Il était, en effet, inadmissible qu’une île ottomane élût et envoyât des députés dans un pays étranger ; un tel acte aurait été une provocation, car il aurait voulu dire que la Crète se considérait comme faisant déjà partie de la Grèce, et si l’Assemblée hellénique avait accueilli dans son sein les députés crétois, la mesure aurait été comble, car cela aurait voulu dire que la Grèce considérait la Crète comme à elle. Alors, c’était la guerre. Les Grecs et les Crétois sont ingénieux ; ils ont cherché à tourner l’obstacle. La Crète n’a pas bougé ; elle n’a procédé à aucune élection ; mais les électeurs grecs ont élu cinq députés dont deux avaient la double nationalité crétoise et hellénique et dont trois étaient incontestablement et uniquement crétois. La Porte n’a pas manqué de protester contre ces élections auprès des puissances protectrices. Celles-ci lui ont fait remarquer qu’une distinction était à faire entre les deux députés qui avaient la nationalité hellénique et les trois qui ne l’avaient pas. Le sentiment général est que ces derniers devront décliner le mandat qu’ils ont reçu indûment, mais que l’élection des deux premiers est strictement correcte et que la Chambre est en droit de les valider.

Nous ne saurions dire si la Porte se contentera de cette réponse, à laquelle elle prépare une réplique. Le droit des deux députés qui avaient conservé la nationalité hellénique ne paraît pas contestable. Seulement un des deux est M. Venizelos, qui était à la veille de l’élection le chef du gouvernement provisoire de la Crète et qui l’est encore aujourd’hui. Il donnera sa démission de ses fonctions crétoises pour appartenir tout entier à la Grèce : et alors, qu’aura à dire la Porte ? En droit, rien sans doute ; aussi est-il probable que la Porte laissera finalement tomber ses objections ; mais, en fait, on comprend que l’élection de M. Venizelos ait produit sur elle une vive et très pénible impression. Cette élection a provoqué en Grèce un tel enthousiasme que M. Venizelos est aujourd’hui le maître de la situation ; tout le monde le pousse au pouvoir ; il ne cessera d’être le chef du gouvernement crétois que pour devenir celui du gouvernement hellénique. L’opinion voit en lui un sauveur, le sauveur, ce qui s’explique du reste par la médiocre qualité des hommes politiques qu’elle a vus aux affaires depuis quelque temps. Ils se sont tous plus ou moins