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qui le plus souvent ne dépasse pas une soixantaine de mille francs, était encore trop au-dessus des facultés de la masse des hobereaux. Sur 263 fiefs d’un arrondissement, dont le revenu nous est connu au XVIe siècle, il s’en trouvait un de 25 000 francs de rente, deux de 12 000, six de 7 000, onze de 3 500, cinquante de 1 000 à 2 500, soixante de 1 500 à 1 000, et 133 de moins de 150 francs de rente.

De cette poussière de seigneuries il en fallait beaucoup, réunie en une seule main, pour constituer une honorable aisance ; les filles de cette toute petite noblesse, à peine dotées, se mariaient dans la sous-bourgeoisie ou la grosse paysannerie des bourgs du voisinage ; les fils aînés régnaient dans un manoir de quatre pièces, flanqué d’une tour et de contreforts, entre lesquels pendait en échauguette une guérite dont la destination n’était point belliqueuse. Ces bicoques ainsi façonnées en châteaux, sises au milieu d’un champ de blé, se vendaient une vingtaine de mille francs, et il se trouvait 500 ou 600 de ces patriciens champêtres, vivant fort maigrement sur leurs terres, contre 15 ou 20 familles de « haute noblesse, » c’est-à-dire de noblesse que les hasards de la guerre ou de la faveur avaient enrichie et possessionnée.


II

Celle-ci, depuis la fin du XVe siècle, avait métamorphosé ses demeures. Inutiles, puisqu’ils ne pouvaient tenir plus de quelques jours contre une petite troupe munie de canons, les anciens types firent aux générations nouvelles l’effet d’obscures prisons. Non qu’il eût existé précédemment un modèle invariable, ni comme style, puisque de Philippe-Auguste à Louis XII, trois gothiques successifs avaient pris la place du roman, ni comme disposition militaire et tactique ; les villes fortifiées par Vauban et ses élèves, sur tout le royaume de Louis XIV, se ressembleront beaucoup plus que les donjons sortis de terre à quelques lieues d’intervalle et à quelques années de distance les uns des autres ; d’une diversité infinie, élancés ou trapus, de trois ou de six étages, carrés, octogones ou en losange, parfois ronds du côté du précipice et rectilignes du côté du plateau, couronnés de plates-formes crénelées ou de toits aigus.

L’intérieur ne s’était pas moins transformé : tous les châteaux que nous englobons sous l’étiquette générique de