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du Languedoc et, sur le total de deux cent cinquante-quatre millions de francs qu’en un demi-siècle (1664-1715) absorba Versailles, bien que la distinction soit assez difficile à faire entre les jardins et les bâtimens, — beaucoup de matériaux et de salaires, confondus dans les comptes, s’appliquant aux uns et aux autres, — je ne serais pas surpris que la part du dehors fût presque égale à la part du dedans.

Le château de Ménars (Loir-et-Cher) fournit à ce sujet un piquant exemple. Son propriétaire du XVIIIe siècle, M. de Marigny, frère de Mme de Pompadour, avait orné le parc d’une quinzaine de statues et de groupes, dus au ciseau des meilleurs artistes de son temps. De nos jours, lors d’une vente publique, ces quelques marbres, qui formaient un lot réservé, dépassèrent un million de francs, prix légèrement supérieur à celui du château et du domaine tout entier. Les objets d’art ne coûtaient pas aussi cher à Louis XIV, qui achetait les marbres bruts et les faisait tailler par des sculpteurs à l’année : un Bacchus, d’après l’antique, était payé 14 400 francs à Coysevox, les vases de Marly revenaient à 2 650 francs, en marbre, à 550 francs en plomb ; c’était peu, mais il en fallut des milliers pour le parc de Versailles.

« Parc » était un vieux mot qui, pour désigner une chose nouvelle, avait changé de sens. Dans son acception du moyen âge, c’était une enceinte quelconque pour la chasse, close de murs, comme à Vincennes, ou plus simplement de haies et de fossés ; le sol y demeurait à l’état de labours, de bois ou de lande, et le plus grand nombre des châtelains n’en possédaient pas. Le parc n’était parfois qu’un verger. On disait en 1409 du château de Marcoussis, bâti par Jean de Montaigu, l’opulent ministre de Charles VI, qu’il [possédait un « grand parc de quatre hectares, » planté d’arbres fruitiers et garni de fossés à poissons et d’une basse-cour. Deux cents ans plus tard, sous Louis XII, l’amiral de Graville décuplait cette surface.

Lorsque aux temps modernes toute maison bourgeoise prétendit posséder aux champs « un jardin honnête, où il y eût du couvert, » les riches, pour constituer des parcs d’agrément et de promenade, achetèrent tout autour d’eux, morceau par morceau, des pièces tellement divisées auparavant qu’il s’y voyait jusque sous les fenêtres du château, comme à Bourbilly (Bourgogne), 45 propriétaires différens sur 30 hectares. Ainsi