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leur remettait parfois une marque d’estime et la notification d’une déchéance : la preuve qu’ils honoraient l’Allemagne et la preuve que l’Allemagne ne voulait plus d’eux leur étaient solennellement laissées par le même vaguemestre. On poursuivait les Jésuites partout ; ils étaient visés dans la personne des Rédemptoristes, qu’on leur supposait affiliés, et dont au mois d’août l’on interrompait les prédications dans la province Rhénane ; visés, encore, dans la personne de ces nombreux collégiens ou étudians auxquels Falk défendait rigoureusement de former à l’avenir des confréries ou archiconfréries ; visés, toujours, dans la personne de leur fondateur saint Ignace, qui n’était pas admis à figurer sur un vitrail d’église. Ainsi traquait-on les Jésuites jusque sous le béret des étudians ; ainsi les pourchassait-on jusque dans l’altitude des verrières.

Entre les plumes qui voulaient servir l’Eglise et celles qui voulaient servir l’Etat, de très grands mots commençaient à s’échanger : la Nouvelle Presse libre, de Vienne, menaçait Pie IX d’un autre Sedan ; le Journal allemand d’Empire, de Bonn, annonçait que les provinces Rhénanes se comporteraient bientôt, peut-être, comme une sorte de « Vénétie, » accrochée aux flancs de la Prusse ; et la Gazette de la Poste, d’Augsbourg, prévenait le Roi et l’Empereur qu’au jour anniversaire de Sedan les catholiques persécutés refuseraient de se mettre en fête.

De sages politiques hochaient la tête, en se demandant où l’on allait. Il s’en trouvait jusque dans le Cabinet prussien : tel, par exemple, le ministre Eulenburg. A Ems, en juillet, il rencontra le chanoine Frenken, de Cologne, qui n’avait rien d’ultramontain, et l’ambassadeur Arnim : on parla des ennuis que Bismarck et Falk suscitaient à l’évêque Krementz, coupable d’avoir excommunié quelques vieux-catholiques ; on prévit la guerre à outrance qui risquait d’en résulter. Eulenburg et Frenken convinrent qu’une politique de violences, qui transformerait les évêques en martyrs, manquerait son but. « Le peuple catholique, disait le chanoine, ne se bornera pas à se ranger derrière eux ; il les poussera en avant. » Arnim opina de même.

« On vise l’épiscopat, » constatait, en août, le conservateur Kleist Retzow ; et son anxiété frissonnait en mesurant la pente sur laquelle s’engageait son terrible neveu. Le juriste Bluntschli, lui, dans ses lettres et dans les loges, ordonnançait des batteries d’allégresse. Cette pente lui paraissait longue, et presque à