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justement M. Schulte, le canoniste vieux-catholique, se trouvait alors à Berlin, pour causer avec le gouvernement de l’élection d’un évêque vieux-catholique. Le 2 janvier 1873, il fut reçu par Bismarck. Des rhumatismes couchaient le prince sur un sofa, et négligemment, jouant avec un dogue, Bismarck se mit à parler théologie. « Je vous salue comme un compagnon de lutte, dit-il à M. Schulte ; je vous parlerai aussi franchement que si nous avions dix ans de commerce. » Il expliqua que les évêques allemands l’avaient déçu, qu’il avait escompté leur résistance au Concile, mais qu’ils s’étaient, en face de Rome, conduits comme des chiens couchans, et que l’archevêque de Cologne n’était plus que l’ombre du Pape. Il raconta comment, déconcerté par ce péril imprévu, il en avait cherché les racines : derrière le cléricalisme, il avait trouvé le polonisme : derrière le ministre Mühler, mari d’une dévote, il avait trouvé la « division catholique, » peuplée de Polonais ou de dévots ; et il avait fait table rase. Mais tout n’était pas fini ; et Bismarck, sans grande déférence, parlait à M. Schulte d’un homme de soixante-quinze ans, — c’était l’Empereur, — qui compliquait encore les difficultés. « Avec le prince impérial, s’écriait-il, ce serait aisé de faire tout de suite de grandes réformes organiques. » Mais Guillaume, à l’entendre, était difficile à convaincre ; il fallait faire la grosse voix ; aussi Bismarck s’était-il effacé de la présidence du ministère, persuadé que Roon serait contraint d’agir comme lui-même, Bismarck, voulait agir.

Ainsi se drapait le chancelier sous les regards éveillés de M. Schulte ; il s’affichait comme un anti-infaillibiliste de la première heure, et découvrant la personne de l’Empereur, il le rendait responsable des lenteurs du Culturkampf. M. Schulte, encouragé, lui demanda ce qu’il pensait de l’élection d’un évêque vieux-catholique.

« Mon point de vue est le vôtre, reprit Bismarck. Je tiens les vieux-catholiques pour les seuls catholiques, auxquels proprement tout appartient. » Il ajouta qu’en pratique il était difficile de se refuser à considérer comme catholiques les millions d’ultramontains, mais que pourtant il s’attachait, pratiquement, à ne rien faire qui préjudiciât à cette théorie, la seule vraie, d’après laquelle les vieux-catholiques étaient les seuls ayans droit de l’Eglise prussienne de la veille. M. Schulte devait donc avoir confiance, et Bismarck entretiendrait le Conseil