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tout au moins à dire son avis sur la pièce et la représentation. Impossible de rester froid devant un tel spectacle. Les plus grands intérêts de l’humanité sont en jeu, des questions de vie et de mort. Vendéens et républicains sont prêts à donner leur sang pour la cause qu’ils défendent. Il y a comme du feu dans les âmes ; la tempête gronde au ciel. Et avec les grandes passions reparaît la grande éloquence. Mirabeau à la tribune semble le Jupiter d’Homère lançant la foudre. Voici ce qu’écrivait Necker en 1798, à la suite de ce fragment sur les usages de la société en France que je citais à propos de Bernardin de Saint-Pierre. — C’est une apostille écrite à douze ans de distance et qui est instructive. — « On voit, disait-il, en lisant ce fragment sur les usages de la société, qu’immédiatement avant la Révolution, les vanités se produisaient chaque jour sous des formes plus subtiles, c’était presque un souffle ; mais deux ans après, seulement deux ans, la langue n’avait pas assez de force pour exprimer les différentes prétentions, et pour signaler les sentimens en combat au nom de l’envie. Et à la suite d’une époque, d’un état de société où rien n’était fortement exprimé, où les formes et les manières étaient devenues l’équivalent des paroles, la langue a pris une rudesse dont on n’avait aucune idée. On y a introduit une foule de mots plus énergiques même que les choses, une multitude de mots barbares qui semblent avoir été formés dans les antres ténébreux de Vulcain, et de la même main qui jette en moule les carreaux de la foudre. Quel contraste en un si petit espace de temps ! C’est un des plus frappans et des plus remarquables. »

Enfin cette Révolution a dans ses principes et dans ses allures le caractère le plus idéaliste qui fut jamais. Elle proclame un idéal nouveau au milieu des éclairs et des éclats du tonnerre. La Révolution dogmatise, elle donne ses décisions pour des sentences du destin ; jamais on ne douta moins de soi-même. Les faits doivent plier devant les idées. Les idées sont infaillibles, elles sont la loi du monde, des divinités superbes et impassibles qui imposent leur culte aux humains et qui mettent en pièces quiconque se refuse à confesser leur gloire ; elles ont la tête au ciel, leurs pieds marchent dans le sang ; leur cœur d’airain demeure insensible aux souffrances et aux cris des hommes. L’idéal devient le souverain du monde ; la vie, les faits et les hommes doivent être ses serviteurs et ses esclaves.