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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/621

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autant de souplesse ; on sent le mouvement du corps sous les plis de la robe violette et de la belle draperie jaune d’or qui la recouvre. Les mains sont merveilleuses d’exécution et le geste d’adoration est une des plus touchantes trouvailles de l’artiste : la Madeleine frôle sa joue presque voluptueusement contre la jambe nue du Bambino. Le tableau est si bien conservé et d’un coloris encore si éclatant qu’il semble peint récemment ; les tons ont la vivacité du premier jour et, malgré cela, ils ne se heurtent pas et se fondent dans une harmonie absolue. C’est le triomphe du sfumato qui règne dans toutes les parties de la toile, même dans le haut où, sous un grand vélum rouge, se déploie un paisible paysage bleuâtre. La Vierge est assise sur un tertre élevé ; à ses pieds, du gazon et des (leurs achèvent de donner au tableau la sérénité d’une scène champêtre.

Près de cette toile, toutes les autres, même ta célèbre Madone à l’écuelle, pâlissent un peu. Pourtant, à, la Bibliothèque palatine, une figure est digne de rivaliser avec celle de la Madeleine. C’est une Madone bénie par Jésus, fragment d’une peinture qui décorait autrefois la demi-coupole de San Giovanni Evangelista et que l’on a encastrée au-dessus d’une porte, au fond d’un long corridor. L’élargissement du chœur de cette église, en 1587, amena la destruction de la vieille fresque dont on ne sauva que la partie centrale. Par différens morceaux qu’avaient reproduits les Carrache avant cette disparition et par la copie d’Aretusi qui remplaça l’original à l’abside de San Giovanni, on peut encore avoir une idée de la composition d’ensemble. Le morceau essentiel était, heureusement, celui qu’a conservé la Bibliothèque palatine. Si le Christ est médiocre, la Vierge est remarquable. Jamais Allegri ne peignit une tête à la fois plus passionnée et plus sereine. Avec quel geste soumis et grave, la mère divine croise les mains et s’incline pour recevoir la couronne que lui tend son fils ! Je me rappelle avoir vu au Louvre une étude du Corrège où la Vierge a ce même mouvement délicieux des bras croisés ; mais combien la tête de Parme est plus émouvante ! J’ai pour elle une tendresse particulière, peut-être parce qu’elle échappa à la mort, peut-être aussi parce qu’elle émut Stendhal. « La Madone bénie par Jésus, à la Bibliothèque, m’a touché jusqu’aux larmes, déclare-t-il… Je n’oublierai jamais les yeux baissés de la Vierge, ni sa pose passionnée, ni la simplicité de ses vêtemens. »