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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/646

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Ah ! sur cette terre italienne où tout est joie et volupté, où les heures coulent comme de belles fontaines dont on voudrait pouvoir arrêter le cours, comme les jours passent vite, surtout lorsque la vraie jeunesse est finie, dès qu’on ne se borne plus à regarder devant soi et qu’on commence à se retourner ! Tout à l’heure j’ai relu, sur la tombe d’Isotta, le sage avertissement : Tempus loquendi’, tempus tacendi. Un jour vient, qui sait ? peut-être proche, où il n’y a plus qu’à se taire…

Avant que la nuit ne tombe, j’ai voulu revoir l’Adriatique qui, tant de fois, berça de son murmure mes rêves et mes espoirs. Tartanes et balancelles reviennent deux à deux, comme des couples amoureux, repliant leurs belles voiles lumineuses. Elles disparaissent derrière le môle où s’allume un feu. Avec le jour qui meurt, une brise tiède se lève, effleurant la peau comme une caresse. Ah ! soirée de septembre sur la mer, triste douceur… Je ne sais quoi de grave est autour de nous. À peine, par momens, l’imperceptible bruit du flot qui se casse sur le sable mou. Et voici que, sans qu’on l’ait vue venir, la nuit est là. Une à une s’allument la lune, les planètes, les étoiles, tous ces astres que nous ne connaissons pas dans nos villes aux maisons hautes, aux lueurs aveuglantes et qui, en voyage, semblent vivre avec nous et nous suivre amicalement. Sur la rive, quelques lumières clignotent. Le son grêle d’un piano vient du grand hôtel déjà à peu près déserté. Une dernière barque rentre au port, glissant sur l’eau, silencieuse, comme un chat qui ferait patte de velours. Ah ! soirée de septembre, triste douceur…


GABRIEL FAURE.