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paisibles maisons peintes, roses ou vertes, la limitent, un peu cachées par la frondaison des arbres, leurs toits de tuiles doucement assombries par le temps, évoquant des images tentantes d’existence heureusement monotone. Les regarder, c’est s’attendrir, car c’est comprendre la vanité des folles agitations, et c’est rêver, — ce que tout homme rêve à certaines minutes, — que le bonheur consiste dans la simplicité régulière de la vie. Un fin clocher gris s’élance, le clocher de l’église des Dominicains, et dominant ce fin clocher de son clocher oriental, comme elle domine toute la ville, l’église paroissiale de Saint-Martin élève au-dessus des toits rouges, telle une protectrice qui veille, la masse cuivrée de ses pierres. Tout, dans ce décor si vraiment provincial, s’harmonise sans effort, par un divin hasard : la couleur des maisons, dont les années ont éteint la vivacité, et la couleur des arbres que l’été a touchés, le sol rosé, la tour plus pâle, le toit plus rougeâtre de l’église paroissiale, jusqu’au chemin macadamisé de la place, tout blanchi par les pas de tant de gens, depuis tant d’années.

Cependant, le jour s’atténue ; le soleil, qui décroît, teinte de rose les nuages blancs suspendus dans le ciel bleu, caresse en se jouant les arbres roux du jardin et de la place, dore la cathédrale ; l’air, la lumière, les arbres, tout est douceur. Bientôt, le soleil empourpre de ses suprêmes rayons le ciel et l’église de Saint-Martin ; au-dessus de l’église des Dominicains, la girouette du clocher gris scintille une dernière fois… Le soleil meurt enfin, tout devient plus doux encore ; une légère fraîcheur se répand : les montagnes et les bois sont si proches. Et c’est la nuit ; on sort respirer, se délasser, bavarder, les boutiques s’éclairent, les cafés s’illuminent, les bourgeois se réunissent à leurs tables retenues, lisent les journaux de Paris qu’ils viennent d’acheter au kiosque, causent, fument ; des familles, les enfans devant, les parens derrière, montent et descendent pour une marche hygiénique la chaussée ; des violons se lamentent dans une brasserie, parfois une fanfare emplit le jardin de ses sonorités. Cependant le jeune Français s’éloigne et s’enfonce au hasard dans la ville.

Rues étroites, capricieuses, pleines de nuit ; maisons à grands toits inclinés, toujours en tuiles rouges que les siècles ont vieillies, maisons à toits ramassés où l’architecte a su encore pratiquer un étage, maisons à pignons aigus, crénelés ou