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adversaires les plus obstinés ; l’intérêt seul de sa ville le poussait encore, car ce n’était pas là ce qu’il avait souhaité, et il redoutait pour sa chère cité la perte de l’autonomie. Il mourut, avant que la diète de Ratisbonne eût tranché les réclamations qu’il produisait au nom de ses concitoyens. S’il avait pu deviner l’avenir, il serait mort tranquille. La généreuse habileté de la France fut d’unir l’Alsace au royaume sans lui imposer l’uniformité, en observant ses traditions, en touchant le moins possible au régime coutumier, aux fonctionnaires en place, aux baillis, en s’interdisant de rien innover dans la langue, ni même dans les écoles, en respectant tout ce que l’Alsace aimait. Elle releva ses ruines, lui rendit la sécurité et la richesse, et lui prodigua la gloire militaire. Dès lors Colmar se mêle intimement à la vie française, tout en gardant son individualité. La tourmente révolutionnaire pourra se déchaîner : malgré ses excès, elle ne fera que rattacher plus solidement la ville à la grande pairie. En 1792, le département fournit à l’armée 17 000 combattans ; lors de la levée en masse, tandis que les jeunes gens gagnaient les lignes de Wissembourg, les pères défendaient la rive du Rhin et les femmes cultivaient les champs. Un certain Jacques Schaltenbrand se présente à la maison commune de Colmar. Il avait sept enfans ; trois étaient déjà à l’armée ; il venait s’enrôler avec les quatre autres ; on refuse le plus jeune âgé de quatorze ans : il supplie la municipalité de l’envoyer à l’armée dès que ses forces lui permettront de servir. Colmar n’avait plus alors pour maintenir l’ordre qu’une compagnie de vieillards de soixante à quatre-vingts ans. Elle donnait sans compter à la France ses enfans, soldats obscurs, ou généraux illustres, comme Rapp, fils du concierge de l’hôtel de ville, enrôlé à dix-sept ans, général à trente-quatre. Le sang versé, la communauté de souffrance et de gloire, la haine de l’ennemi achevaient ce que la douceur française avait si bien engagé. Quand, en 1830, le pays craignit une nouvelle invasion, le même enthousiasme éclata. Tous les citoyens apprenaient le métier des armes et il arrivait fréquemment au barreau qu’un avocat plaidait après avoir seulement dissimulé sous sa robe l’uniforme qu’il n’avait pas eu le temps de quitter… En 1870, une Colmarienne, Mlle Antoinette Lix, commandait une compagnie franche des Vosges, et quand les mobiles se débandaient, elle les arrêtait, en leur criant : « Debout, debout !