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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/699

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terrible, fait de chaleur suffocante et de glacial blizzard. Donc ; conditions très dures de la lutte pour l’existence et infériorité certaine par avance du groupe italien, trop faible, trop mal armé, pour jouer des coudes dans cette organisation touffue, où, le plus souvent, il ne représente qu’une réserve d’unskilled labour.

Au contraire, la Régence offre au contadino le sol fertile de l’isola sacra, des produits similaires, les magistraux couchers de soleil du golfe de Palerme, une langue cousine de celle qu’il bégayait au berceau. Dura la fatigue, intrépide, il travaille sans défaillance ni plainte, sous le ciel embrasé ou la pluie diluvienne. Avec ardeur, il arrache lentisques et jujubiers, en traduisant dans son dialecte un peu rude le proverbe toscan : Chi si aiuta, Dio l’aiuta. Son terrain nettoyé, il plante de la vigne, véritable culture de la petite colonisation, qui permet de remplacer, dans une certaine mesure, le capital par la main-d’œuvre, sans exiger aucune avance. Matériel nul ; ni caves, ni pressoir, pas même de tonneaux ; les négocians de Tunis achèteront la récolte sur pied. Le sol lui rendra ses efforts au centuple et, plus tard, il possédera un terrain assez étendu pour assurer l’existence de sa famille. Fort de cette certitude, il accepte un salaire de famine, opposant une sérénité inaltérable à l’adversité, sécheresse persistante, inondation subite ou nuées de sauterelles qui dévorent en doux heures tout ce qui verdit au soleil. Comme une fourmi, peu à peu, il amasse des planches, de la chaux, des briques, et bientôt une maisonnette basse pique une touche rose sur le vert sombre des vignes. Désormais, il reposera sous son propre toit.

Ses amis qui soufrent les vignobles de Marsala, rivent des tôles au chantier naval de Palerme ou nettoient les marais salans de Trapani, se demandaient : où est Lorenzo ? Car, perdu dans la solitude, talonné par la préoccupation du pain quotidien, harassé de fatigue après avoir peiné tout le jour, notre immigrant ne songe qu’à l’avenir. Peut-être a-t-il pour excuse un analfabetismo complet : on appelle ainsi l’état de l’individu complètement illettré. A force de relancer le Consulat, les Siciliens apprennent que Lorenzo est devenu propriétaire. Propriétaire ! Ce mot magique, inséparable de l’idée d’opulence, resplendit, dans les vastes latifondi trinacriens, comme l’éclair d’un phare électrique aux yeux du navigateur perdu dans la