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la main droite. Et comme saint François restait là, stupéfait à son aspect, l’ange se mit à tirer son archet sur sa viole, et ce fut soudain une telle suavité de mélodie quelle pénétra de douceur l’âme de saint François et lui fit perdre tout sentiment de son corps. Car, suivant ce qu’il raconta depuis à ses compagnons, il lui semblait que, si l’ange avait tiré plus longtemps son archet, son âme se serait échappée de son corps, par cette douceur intolérable. »

Dès les débuts de l’ordre, François s’était entouré de poètes musiciens. En 1212, à San Severino, dans la marche d’Ancône, son éloquence naïve avait remporté une victoire éclatante. Lui, l’illettré, l’ignorant, comme il se vantait d’être, il convertit et s’attacha, pour la vie, l’un des plus fameux troubadours, poète couronné au Capitole, « le Roi des vers, » Guglielmo Divini. Sous le nom de Frà Pacifico, c’est Divini qui fut chargé par lui d’évangéliser le pays des poètes, la France, lorsque, arrêté sur la route de Provence, par une défense, absolue du cardinal Hugolin, il y dut renoncer lui-même. Frère Pacifique séjourna chez nous à plusieurs reprises, en 1220, quand les Franciscains campèrent d’abord, sans rien bâtir, à Saint-Denis, puis, à Paris, lorsqu’ils fondèrent, à Saint-Germain-des-Prés, un couvent et une école bientôt fréquentés par plus de deux cents étudians. Frère Pacifique, lui aussi, est un visionnaire artiste. Un jour, il aperçoit, dans le ciel, le trône laissé vide depuis la chute de l’orgueilleux Lucifer occupé par le Poverello. Un autre jour, il voit le Saint transpercé par deux glaives. Il interprète les visions du Maître, sur sa demande, avec une subtilité doctorale. Il se trouve près du Saint lorsque celui-ci improvise le Cantique du Soleil ; c’est lui qui est chargé de le noter, chanter, répandre. D’autres musiciens encore sont accueillis de bonne heure dans le petit troupeau : l’Allemand Julien de Spire, maître de chapelle à la Gourde France, sous Louis VIII, auteur d’une des Légendes franciscaines et d’un Nocturnale Sancti officium, vers rimes et musique, ensuite Henri de Pise, auteur lui-même d’une autre légende (Vita metrica). « Henri savait, dit Fra Salimbene, écrire, dessiner en coloris, ce que quelques-uns appellent enluminer, noter la musique et inventer de très beaux chants, modulés aussi bien que choraux. Il a été mon maître de chant du temps du pape Grégoire IX. Il a composé à la fois les paroles et la mélodie du Christe Deus, Christe meus, et il a emprunté la