forme, quelle analogie, quel rapport secret a pu me faire voir dans cette fleur une beauté illimitée, l’expression, l’élégance, l’attitude d’une femme heureuse et simple dans toute la grâce et la splendeur de la saison d’aimer. Je ne concevrai point cette puissance, cette immensité que rien n’exprimera ; cette forme que rien ne contiendra ; cette idée d’un monde meilleur, que l’on sent et que la nature n’aurait pas fait ; cette lueur céleste que nous croyons saisir, qui nous passionne, qui nous entraîne, et qui n’est qu’une ombre indiscernable, errante, égarée dans le ténébreux abîme… Mais cette ombre, cette image embellie dans le vague, puissante de tout le prestige de l’inconnu, devenue nécessaire dans nos misères, devenue naturelle à nos cœurs opprimés, quel homme a pu l’entrevoir une fois seulement, et l’oublier jamais ? »
Mais ce bonheur n’est pour lui qu’un éclair, et il en revient bientôt à ce sentiment de désharmonie entre le monde et lui, qui fait son tourment. Il rêve à ce monde meilleur dont il a comme une vague conception et que la nature n’a pas fait. Il en revient à se sentir étranger à cette nature inconcevable qui, contenant toutes choses, semble pourtant ne pas contenir ce que cherchent ses désirs. Mais Obermann a l’âme fière et forte ; il ne s’abandonne pas à ses déplaisirs, il ne maudit pas le monde et les hommes, il ne murmure pas, il ne se plaint pas. Il contemple ses ennuis et ce spectacle l’intéresse ; quand il en découvre un nouveau dans sa vie, il en éprouve presque quelque plaisir, comme un habile horticulteur qui réussit à se procurer une nouvelle variété de tulipes ou de roses.
Le problème qu’il semble s’attacher à résoudre est celui-ci : Etre aussi heureux que cela est possible quand on est condamné à n’être content de rien ; et ce problème, il le résout en se rendant supérieur au monde et à la vie ; en se créant, au fond de son être, un asile dont aucun orage ne peut troubler la paix. Et ce qui surtout le distingue de René, c’est qu’il ne cherche point à se faire une vie exceptionnelle comme son âme. Il vit, en apparence, comme tous les hommes, il a des amis et il leur demeure constamment attaché ; il acquiert un domaine vers la fin de sa vie, et il s’occupe de le sagement administrer, et d’en tirer le meilleur parti ; il s’intéresse aux autres, il est bienfaisant, il fait des heureux, il est d’un commerce facile et agréable : — « Je ne chercherais pas, dit-il, pour les plus beaux jours de ma